Voyage en Chasselasie (4)
Sion, capitale du Valais. Entre deux bâtiments en construction (une future école polytechnique), on aperçoit les deux collines où se trouvent l’église médiévale et le château. Mais nous ne sommes pas là pour faire du tourisme. Pour ça, on reviendra. Nous allons chez le premier producteur de vins suisses (10 % de la production nationale et 20 % de la valaisanne) : la cave PROVINS. Christian Carron (responsable qualité et communication institutionnelle) et Luc Sermier (œnologue, maître caviste) nous accueillent.
PROVINS, coopérative fondée en 1930, compte aujourd’hui 3 300 sociétaires et exploite 800 hectares de vigne dont 250 en métayage. Luc Sermier nous explique que leur premier objectif est d’obtenir des raisins de qualité. A cette fin, les vendanges arrivent en cassettes dans trois centres de récolte puis sont acheminées vers l’unique station d’encavage, là où nous sommes. D’autre part les sociétaires sont rémunérés à la surface cultivée et non à la quantité produite.
La visite commence. 450 cuves rutilantes en inox pouvant recevoir 15 millions de litres, c’est impressionnant de technologie, presque trop ! Nous sommes à cent lieues du paysan-vigneron qui après une année passée dans ses vignes élabore son vin, armé de son savoir, de son expérience, des savoir-faire transmis par Papa ou Tonton. Si mon inclination personnelle me conduit plutôt vers ce type de vignerons, il me faut bien reconnaître le rôle essentiel des coopératives dans le maintien d’une viticulture paysanne. Je renvoie au livre de Pierre Guigui, «une autre histoire du vin» dont j’extrais ces lignes: «L’histoire des caves coopératives n’est pas assez mise en valeur. Ce qui est drôle, c’est qu’une maison de champagne qui joue sur une image de luxe et qui fait des volumes souvent supérieurs à ceux d’une cave coopérative est beaucoup mieux considérée….on voit bien que cette image de cave coop’ est dénigrée parce que c’est le vin du peuple, c’est le vin de masse, alors qu’à l’origine ces coopératives étaient conçues pour lutter contre le négoce qui mélangeait n’importe quels vins et pour préserver des vins qui correspondaient à l’appellation ! ….Et certaines caves coopératives, quoique très grandes, font de petites cuvées.»
Revenons à PROVINS : le chai de barriques est tout aussi impressionnant. Tiens des amphores ! Car ici aussi, on expérimente. Parmi les barriques, presque toutes en chêne français, certaines sont en mélèze, témoignage d’un retour à un traditionnel savoir-faire valaisan. Autre expérience menée par Luc Sermier, les vins de la gamme « Les Titans ». Ils sont élevés dans un tunnel du barrage de la Grande Dixence à une altitude de 2200 m (la température y est constante 4,5 °C, l’hygrométrie de 100 %). Le tunnel est inaccessible six mois par an du fait de l’enneigement. La dégustation qui suit la visite nous démontre la remarquable qualité des vins produits ici. Nous mettrons à l’épreuve 9 fendants (le nom du chasselas dans le Valais).
Fendant Pierrafeu 2017 «charte d’excellence»: le nez est frais, sur le raisin, bouche grasse et perlante, rétro légèrement métallique, florale, finale épaisse et saline.
Fendant 2017, «collection Chandra Kurt»: le premier nez est un peu réduit, mais le vin s’ouvre à l’aération, la bouche est fraîche, la finale est très saline et longue.
Fendant Saint-Léonard 2017 «Maître de Chais»: le nez est plutôt discret, il y a beaucoup d’amplitude en bouche, la finale est tendue et saline.
Fendant Saint-Léonard 2007 «Maître de Chais»: nez puissant sur des notes miellées, suave, matière légère, finale en demi-teinte.
Fendant Saint-Léonard 2006 «Maître de Chais»: nez très frais, très élégant, vin tout en finesse, beaucoup de longueur en finale.
Fendant Saint-Léonard 2004 «Maître de Chais»: nez frais, on perçoit la trame minérale au-delà les notes d’évolution, matière assez légère, finale fraîche plutôt courte.
Fendant Pierrafeu 1995 «Capsule Dorée»: des notes d’évolution vite dissipées par une explosion minérale (légèrement pétrolée), très frais, finale très longue.
Fendant Pierrafeu 1994 «Capsule Dorée» : nez très marqué par l’évolution, type oxydatif, frais en bouche, finale salivante.
Fendant Pierrafeu 1993 «Capsule Dorée» : nez très minéral, typé riesling, frais en bouche, légèrement perlant, finale longue avec de jolis amers.
En résumé des vins aux personnalités affirmées, reflétant le millésime avec comme dénominateurs communs la fraîcheur et la minéralité.
Les dégustateurs de chasselas étant des gens curieux, ils aimeraient en savoir plus sur l’influence du mélèze sur le comportement des … pas le temps de finir la phrase que nous voici face à un diolinoir 2014 élevé pour partie en fûts de mélèze. Le diolinoir est un cépage né en Suisse du croisement du diolly avec le pinot noir. Il s’agit du domaine Evêché, les vignes de l’Evêque. Une partie des raisins vinifiés étaient passerillés. Le vin est puissant, on décèle des arômes de torréfaction (peut-être apporté par le mélèze), les tanins sont solides, il est taillé pour la garde, c’est un grand vin de gastronomie.
Après cette matinée dense et enrichissante, quelques calories s’avèrent indispensables.
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