Stocké dans le lac, le chasselas conserve sa jeunesse
Les bouteilles sorties du Léman samedi révèlent que l’expérience lancée en 2010 à Chillon est un succès. L’EPFL et l’Ecole d’ingénieurs de Changins vont y être associées.
«Cette fois, c’est la bonne! tous les bouchons ont tenu la pression: il n’y a pas d’eau qui s’est mêlée au vin.» Sur la barge d’Intrasub ancrée devant Chillon, samedi, Daniel Dufaux flaire que le moment est historique, en brandissant les bouteilles qui viennent d’être sorties du lac. Le président des œnologues de Suisse et directeur de Badoux, à Aigle, en aura la confirmation lors de la dégustation de ces nectars «lacustres»: stocké dans le lac, le chasselas conserve sa jeunesse, ce qui était le but recherché.
Cela fait six ans que le chef des œnologues du pays a lancé avec le château de Chillon cette expérience, inédite en Suisse, qui vise à étudier le vieillissement du vin au fond du Léman dans des conditions idéales de stockage. Car, en profondeur, la température varie très peu (de 6 à 8 degrés), l’obscurité règne, l’oxygène est rare.
Des bouchons plus solides
Il y a plus de quatre ans, un premier essai s’était révélé infructueux. Remontées à la surface et débouchées, quelques-unes des 350 bouteilles plongées à 35 m de profondeur sous le château en 2010 avaient un goût nauséabond. Les bouchons n’avaient pas tenu la pression hydraulique et l’eau s’était infiltrée à l’intérieur.
En 2014, ce sont 330 bouteilles qui ont été immergées. Mais, cette fois, à 23 m sous l’eau, afin que la pression aquatique ne soit pas trop importante. Et, pour éviter les déboires de 2011, les bouteilles, dont le goulot a été recouvert de cire, ont été dotées de bouchons de liège plus longs, plus larges, et enveloppés de couches de paraffine et de silicone pour les rendre plus étanches. Un bouchage de type «champagne» a aussi été appliqué sur quelques bouteilles.
C’est le fruit de cette deuxième tentative qui a été recueilli samedi. Sortis du Léman, les vins de 2012, du chasselas du Clos de Chillon et d’Aigle Les Murailles, ainsi que du pinot noir d’Yvorne, ont mieux vieilli que les bouteilles issues des mêmes lots conservés en cave. «Dans l’eau, le chasselas est resté plus jeune, plus friand, plus joyeux et ne dénote pas d’oxydation, découvre Daniel Dufaux, à l’heure de la dégustation. Cette forme de conservation semble en mesure de prolonger la vie du chasselas, un vin fragile sur la durée.»
Partenariat avec l’EPFL«Et cette tendance devrait se poursuivre pour les bouteilles restées dans les profondeurs du lac, commente Yvon Steininger, de l’entreprise Intrasub. Vu que les bouchons ont tenu deux ans, ils ne devraient plus subir de contraintes physiques.» Quant au pinot noir, il a encore mieux préservé sa jeunesse dans le Léman que le chasselas. Mais l’expérience a moins d’intérêt avec ce rouge, qui a de toute façon une durée de vie plus longue, même en cave terrestre.
«Nous allons associer l’EPFL et l’Ecole d’ingénieurs de Changins pour des analyses complémentaires, confie Claire Halmos, directrice adjointe du château. Cette aventure doit se poursuivre. Ne serait-ce que parce que la configuration de notre site lacustre, avec sa falaise abrupte, est unique sur le lac, pour ce genre d’expérience.»
(Article de Claude Béda par dans le quotidien 24 heures du 12 avril 2016)
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