Et si vous mettiez du vin suisse dans vos cocktails
Spritz ou un CHpritz? Des vignerons romands lancent le Chassel’ice, le Rossier’Co et le ProceSwiss. Ces nouveautés sont fabriquées avec des chasselas et destinées à être mélangées dans des cocktails. Bonne idée?
Article de Jocelyn Rochat paru dans Le Matin Dimanche du 30 août 2020
Le succès du Spritz donne des idées à certains vignerons suisses qui peinent à vendre leur chasselas. Ainsi, cet été, on a vu apparaître une série de bouteilles portant des noms créa-tifs, comme le Chassel’ice, le Rossier’Co ou encore le ProceSwiss. Ces produits ont pour caractéristique d’être des chasselas conçus pour être mélangés et devenir des Spritz ou des Hugo, ces apéritifs à la mode qui ont taillé des croupières aux trois décis de fendant ou de chasselas que préférait grand-papa.
Le Chassel’ice a été imaginé il y a quelques années, quand François Grognuz participait à un Marché de Noël. «On a oublié une bouteille sur le comptoir et on l’a retrouvée à moitié gelée le lendemain. Nous l’avons goûtée. Elle n’avait rien d’exceptionnel au goût, mais elle nous a donné l’idée du nom.» Cet été, François Grognuz s’est lancé dans la vente d’un «vin suisse mousseux de type prosecco, pour mélanger dans des cocktails». Le vigneron de Vil-leneuve (VD) en a déjà vendu 10’000 bouteilles.
Dans la famille Rossier, à Lavigny (VD), l’envie de concurrencer les vins italiens est aussi à l’origine de la production de 1500 litres de Rossier’co. «On a de la chance avec le nom de famille, ça nous a donné l’idée de ce nom, pour que les gens comprennent tout de suite que ce vin peut être bu dans un CHpritz», sou-rit Gilles Rossier, cogérant de la cave familiale. «Les prix du vrac sont tellement bas que nous avons cherché une solution, et nous avons pensé à cette base de chasselas avec un ajout de bulles. Je ne suis pas un grand fan du pro-secco, mais la demande est là.»
Dans la région genevoise, chez Bibarium, qui commercialise un ProceSwiss en fûts, le directeur Marc Sarrazin confirme: «Il y a un marché énorme à prendre si on arrive à remplacer le prosecco par du mousseux local pour les cocktails. Nous avons lancé deux assemblages, dont un à base de chasselas à la fin 2019. Sur nos 60 références, le produit qui ex-plose, c’est le mousseux suisse en fûts.»
Le prosecco a plus de goût qu’un chasselas
Du côté des spécialistes, Jérôme Aké Béda, maître d’hôtel à l’Auberge de l’Onde à Saint-Saphorin (VD), «salue cette belle initiative, comme toutes les formes de vinification nou-velles qui peuvent apporter une jeunesse au vin en général». Lui qui a imaginé une recette pour boire ce vin à bulles façon Chassel’ice-quiri encourage toutefois les vignerons «à ne pas oublier la notion de qualité. Le prosecco, qui est à base de glera, un cépage du Val d’Oca, a davantage de structures qu’un chasselas, et donc plus de goût». À la Haute École d’œnologie de Changins, Pascale Deneulin est nuancée. «Il y a des exemples où le marketing a sauvé des vignobles. Dont le prosecco, dopé par la mode mondiale du Spritz. On a vu un exemple similaire avec le cognac. C’est quand les rappeurs américains ont commencé à le boire en cocktail que la filière a été redynamisée.» Toutefois, «comme amatrice de vin, ça me fait un peu mal au cœur, poursuit-elle. Il faudrait bien différencier les deux gammes de vins, ceux qui s’orientent vers les cocktails et les chasselas qu’on valorise pour être dégustés eux-mêmes, en vins secs, doux ou effervescents.»
Alexandre Truffer, président du Mondial du chasselas (lire ci-dessous) se montre pragma-tique. «Aujourd’hui, on déclasse certains vins ou on cherche à les transformer en gels hydro-alcooliques. Donc ça me semble plus intelli-gent et plus noble de les utiliser pour des apé-ritifs.» Ce qui tire la qualité vers le bas, c’est «la mévente, pas le fait qu’on décline deux pro-duits différents qui se vendent bien». Après, le marché triera. Cette année, les Suisses qui sont restés au pays ont bu du CHpritz. Reste à sa-voir si ce sera encore le cas en 2021, alors que d’autres vignerons lancent de nouvelles va-riantes de ce prosecco version chasselas.
Les tendances du chasselas
À part ça, comment ça se passe pour les vins blancs plus haut de gamme, ceux qu’on ne mélange pas avec de l’Aperol ou du Campari pour faire un Spritz? Le dernier Mondial du Chasselas, qui s’est tenu le 20 août au château d’Aigle (VD), a consacré la Braise d’Enfer, «un vin d’Épesses qui a aussi remporté le trophée des vins produits à plus de 15’000 exem-plaires. Ce n’est donc pas un chasselas de niche», se réjouit Alexandre Truffer.Parmi les tendances du moment, le président de ce concours international évoque les vins spéciaux et les vieux millésimes: «Les vins spéciaux, ce sont essentiellement les non filtrés, un produit qui marche bien, avec des ventes en augmentation constante et que les Neuchâtelois ont su positionner. C’est un des futurs du chasselas, en tout cas pour cette région. Le produit est original, festif, et il sort en janvier, à une période où il ne rencontre pas de grande concurrence.»Les vieux millésimes sont une autre tendance du moment. Parce que l’on sait de plus en plus que ces vins sont capables de vieillir, certains vignerons stockent leurs productions pour les vendre dans quelques années, et d’autres recherchent des bouteilles d’un autre âge.Enfin, le président du Mondial du Chasselas observe un retour en grâce du Fendant. «Maintenant qu’il ne reste plus sur le marché que les vignerons qui s’intéressent à ce cépage, on assiste à un regain d’intérêt pour ces blancs que les consommateurs avaient délaissés ces dernières années.»
Category: Le Chasselas aujourd'hui, Mondial du Chasselas 2020