L’experte qui a défini la minéralité du Chasselas
Article paru dans 24 heures le 24 septembre 2018
Accroupie dans un champ, Pascale Deneulin prend la pause avec un naturel déroutant. «Je commence à avoir l’habitude», s’amuse-t-elle en haussant les épaules rapidement. Depuis sa qualification pour la finale internationale de Ma thèse en 180 secondes, la professeure en analyse sensorielle de la Haute École de viticulture et d’œnologie de Changins et doctorante à l’Uni de Lausanne (UNIL) a passé sous les flashes de plusieurs photographes. À Lausanne jeudi, elle y représentera la Suisse, son pays d’adoption.
Dans la région de Grenoble, ses parents sont sans doute très fiers. Ils sont surtout bluffés par la transformation de la cadette de la fratrie de cinq enfants. Timide au point de lever le doigt quand, petite, elle voulait prendre la parole à la table familiale, Pascale Deneulin s’exprime désormais devant des affluences pouvant atteindre 1000 spectateurs. Ce fut le cas en Australie il y a deux ans, où elle a parlé de la minéralité des vins, son sujet de prédilection, et en anglais, une langue qu’elle ne maîtrise pas complètement. Cette semaine, l’audience risque d’être encore plus grande, puisque la finale sera retransmise en direct sur Facebook. «Pour diminuer le stress, je passe beaucoup de temps à la préparation», note la scientifique. Perfectionniste, elle a choisi minutieusement chacun des 450 mots qu’elle utilisera en trois minutes pour définir la minéralité des vins.
Pour assumer son perfectionnisme, Pascale Deneulin a une arme: c’est une bosseuse. La trentenaire a réussi à faire deux enfants pendant qu’elle a travaillé sur sa thèse commencée il y a cinq ans. «Je ne fais jamais rien à moitié car je prends les choses toujours très à cœur. Cette manière d’être me prend énormément d’énergie. Ça tourne tout le temps dans ma tête.»
Son secret pour ne pas perdre pied: l’équitation, qui traduit ses valeurs terriennes. Elle s’évade souvent en montant Etna, sa jument. Une fois en selle, elle oublie tout. «L’équitation a une part importante dans ma vie depuis l’âge de 11 ans, souligne l’enseignante. Cette pratique m’a aidée à surpasser ma timidité. Elle m’a aidée à m’affirmer.» Avec l’animal, elle expérimente les possibilités qu’offre la passion. Pour l’assouvir, l’enfant qu’elle était avait trouvé le moyen de monter gratuitement en faisant de petits travaux dans une écurie.
Aujourd’hui, la passion est restée un moteur. «Sans elle, je suis incapable de travailler.» Et le monde viticole lui a offert un formidable terreau pour nourrir ce moteur. Elle est tombée dedans par un heureux hasard. Ayant grandi dans une famille qui aime bien manger, Pascale Deneulin choisit d’aller étudier l’agroalimentaire dans une école d’ingénieurs à Rennes. L’expérience la laisse toutefois sur sa faim. «Le monde de la superindustrialisation ne me plaisait pas. Dans ce secteur, le rapport au produit se perd. Dans des usines qui produisent des fromages, on ne voit pas une goutte de lait.»
Les statistiques la mènent au vin
Ce cursus ne lui sera pas vain. Une illumination se produit pendant les cours de statistiques. Son professeur prend toujours des exemples tirés du vin et lui ouvre les portes d’un domaine dans lequel elle plongera pour ne jamais en ressortir. Il lui fait reconnaître l’Interprofession des vins du Val de Loire, où elle fera un stage de master. Pendant ces quelques mois, elle participe au développement d’une méthode innovante pour collecter des données de dégustation. Une manière de pratiquer devenue populaire chez les professionnels de l’analyse sensorielle.
La jeune femme acquiert alors des compétences qui lui ouvrent des portes dans le monde du vin. «Ce milieu a été un retour au terroir après avoir touché à l’agroalimentaire, explique Pascale Deneulin. Il a l’avantage d’être riche de personnes passionnées par leur métier. Aujourd’hui, j’aurais du mal à m’emballer pour un autre produit.»
Avec le temps, elle n’oublie jamais ce que la viticulture lui a apporté. La trentenaire semble même en mission pour donner en retour ce qu’elle a reçu. En arrivant à Changins en 2008, elle se fait une place et devient en quelques années une experte reconnue dans sa spécialité qu’est l’analyse sensorielle. Elle est ainsi régulièrement citée dans la presse. «À chaque fois qu’on peut parler de Changins et du travail qui est fait pour la viticulture suisse, je suis heureuse», nous disait-elle après sa victoire à la finale suisse de Ma thèse en 180 secondes.
À la HES de Nyon, Pascale Deneulin mène de front ses travaux de recherche et l’enseignement. Elle donne notamment des cours de statistique, dans lesquels elle illustre toujours son propos par des exemples issus du vin en guise de clin d’œil à son professeur de Rennes. Elle encadre aussi les étudiants dans leurs travaux de bachelor. «Ces contacts me sont chers, même si l’enseignement peut me paraître parfois routinier.»
Avec le chapitre lié au concours Ma thèse en 180 secondes qui s’apprête à se fermer, Pascale Deneulin n’a-t-elle pas peur de retrouver une existence trop normale? Pas vraiment. Il lui reste encore toute la partie de rédaction de sa thèse sur la minéralité du vin. Elle a aussi quelques objectifs à réaliser. «J’aimerais effectuer un projet auprès d’une population d’alcooliques afin d’avoir une réelle utilité pour la cité, dévoile-t-elle. Savoir si l’éveil à la dégustation du vin pourrait avoir des effets modérateurs sur la consommation de cette population et sur la prévention de l’alcoolisme chez les jeunes.»
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