Les terrasses de Lavaux, première fois
Avoir enfin vu et parcouru les terrasses de Lavaux, ce plaisir. C’est un coteau très escarpé à l’est de Lausanne, très forte déclivité taillée en petites terrasses (un peu) moins pentues et divisé en tranches par des rails de funiculaire qui servent aux vignerons à monter et descendre leurs outils. Là, la plupart des traitements se font en hélico, c’est moins coûteux que le travail manuel sur ce coteau impossible. Les vignes de Lavaux se divisent en huit appellations, dont Dézaley, la plus connue, le grand cru.
On y fait surtout pousser du chasselas de cuve et l’un des propriétaires de parcelles y a aussi installé un conservatoire de cépages qui comptent une grosse douzaine de variétés de chasselas, donc. Chaque mini-rang nous apprend le nom de la variété, des noms simples qui disent quelque chose sur le cépage. Ainsi «giclet» parce qu’à la pression, le jus gicle de la baie ou «fendant» parce qu’elle se fend.
Cet homme, 80 ans aux fraises, est un néo-vigneron qui fourmille de projets. D’une vie passée de juriste, il a gardé les idées claires et un certain sens de ce qui doit être. Il s’appelle Louis-Philippe Bovard, c’est lui le conservatoire du chasselas. Chez les Bovard, comme chez les Latour de Beaune, on se prénomme Louis ou Louis-Machin, d’une génération sur l’autre, c’est pratique pour incarner l’étiquette. C’est une ancienne signature du coteau surtout connue pour son Médinette, la cuvée la plus expressive des chasselas, bien sûr.
De ce coteau qui plonge dans le Léman, on voit très bien la côte française et le Mont-Blanc, c’est de la viticulture de montagne avec l’avantage de la grande flaque d’eau qui joue un rôle de régulateur thermique très opportun. Ce jour-là, fin d’été douce et ensoleillée, tout est en place pour comprendre ce mythique Lavaux. Nous y passerons des heures.
Plus tard, le soir même à l’occasion d’un dîner plus-que-parfait dans le nouveau restaurant d’Anne-Sophie Pic au Beau-Rivage Palace à Lausanne, nous goûterons des chasselas de dix et quinze ans, un vieillissement harmonieux comme une vieille dame émouvante à force d’être toujours gracieuse, miel et tilleul, noisette. On regardera le soir tomber dans le lac, plus loin à l’ouest, du côté de Genève, en se disant que ce vin blanc est à sa place dans un registre de plaisirs raffinés qui colle bien à la gastronomie aimante et précise du Beau-Rivage powered by Anne-Sophie Pic. Ce très grand palace de 170 chambres et ses annexes sont amarrés au bord du lac depuis plus de 150 ans, mais en remontrerait à plus d’un établissement dernier cri. À la cave, notamment, gérée par le sommelier Thibaut Panas, meilleur sommelier de Suisse 2014, originaire de Troyes. Là, 75 000 bouteilles très finement choisies attendent leur heure. Surprise, pas un grand bordeaux postérieur à 2003 à la carte. Les millésimes plus récents ont droit à dix ans de vieillissement au moins dans les caves de l’hôtel, sorte de Fort-Knox très bien organisé. Sur cette somme de flacons, Thibaut Panas consacre le tiers aux vins suisses, dont 15 000 aux seuls vins vaudois, le canton dont dépend Lausanne et le Lavaux. De la belle ouvrage. Intelligemment, le Beau-Rivage a inscrit les Terrasses de Lavaux au nombre des excursions et des découvertes proposées à la clientèle.
Le lendemain, visite au Domaine de la Colombe mené par Raymond Paccot, autre gloire locale, autre type charmant. Lui, il n’est pas à Lavaux, mais sur la Côte, pente douce qui ondule jusqu’au lac et vaste groupement d’appellations à l’ouest de Lausanne parmi lesquelles Féchy, dont Paccot sort le plus beau des chasselas, cépage décidément très identitaire. C’est un chercheur, un vigneron agité, sympathique et détendu, qui travaille ses sols et réfléchit avec le couple Bourguignon pour connaître encore mieux ses terroirs, un très bon qui réalise en particulier une cuvée pour et avec l’ami Jacques Perrin, caviste voisin, philosophe, alpiniste et dégustateur émérite au sein du Grand jury européen (son blog, ici). Cette cuvée rouge sobrement baptisée «Exception», il en sort 800 bouteilles exclusivement réservée à Jacques, c’est un vin racé et frais, épatant, j’en ai une bouteille, elle va vieillir longtemps avant que je l’ouvre. La voilà avant le grand plongeon à fond de cave.
Avec Paccot, la conversation roule sur la viticulture suisse. «On fait ce qu’on veut» affirme-t-il pour me faire comprendre que les contraintes imposées par les appellations laissent le champ libre à l’expression personnelle de chaque vigneron. Ici, une grosse cinquantaine de cépages autorisés, liberté de taille, d’écartement, etc. Quelque chose entre l’hyper-permissivité des appellations US et l’étouffement réglementaire qui prévaut en France (à ce propos affligeant, lisez ça). Plus tard, il évoquera les droits de succession très faibles en Suisse qui permettent aux familles de conserver leurs terres assurant ainsi la fixation d’une activité rurale, pérenne et dynastique. Sur les 18 hectares de son domaine, il en a converti douze à la bio-dynamie, « une viticulture de riches » précise-t-il. Provocateur, il affirme: «Je ne l’ai pas fait pour l’environnement, je trouve que ça fait des vins meilleurs.» Et pour faire rire le Français qu’il a en face de lui dans sa cave, il ajoute «Ici, je ne connais que des Français riches, ils sont tous là.» Suit une liste de noms connus sur laquelle je préfère garder mes commentaires par devers moi jusqu’en 2017 au moins. Surtout quand on vous explique que la politique suisse est un peu ennuyeuse et que «heureusement qu’on a la télé française pour rigoler.» Dit avec l’accent suisse, c’est très agaçant.
Les photos: mon NiPhone sauf celle de Dézaley signée Nasty Nastasia
Le blog de Nicolas de Rouyn: Bon vivant
Category: Articles généraux sur le Chasselas