Le vignoble vaudois en 1945
Décrit, chanté, fêté, le vignoble vaudois reste un emblème de beauté, de grâce, mais aussi de travail soutenu, de persévérance dans l’œuvre des générations qui ont élevé les kilomètres de muraille soutenant les terrasses de Lavaux. Le vigneron vaudois aime son vignoble, quelle que soit sa situation ou son étendue. Que les ceps fassent pénétrer leurs racines puissantes dans les calcaires jaunes du Jura ou les calcaires gris bleu des Préalpes, dans les poudingues ou les grès de Rivaz, dans les terrains glaciaires sablonneux ou argileux, dans les gypses d’Ollon ou de Bex, partout ils sont l’objet de soins constants et assidus.
La vigne reste la plante de choix, la plante de luxe que chaque commune s’enorgueillit de posséder sur son territoire. Elle seule peut créer dans l’âme de nos artistes comme dans l’ensemble de notre population un élan, un enthousiasme qui se traduit par la célébration de cette fête splendide, la Fête des vignerons à Vevey, fusion admirable de musique, de couleurs et de chants.
Lutte contre les ennemis de la vigne.
Dans le vignoble, le travail du sol et de la plante est continu, ne laissant au cours de l’année que fort peu de repos à ceux qui les cultivent. Ce travail est en outre extrêmement précis et délicat, la moindre faute pouvant souvent provoquer la perte complète de la récolte. En années favorables au développement du mildiou, il suffit d’un retard de quelques heures dans le sulfatage pour que le funeste champignon anéantisse l’ensemble des grappes, réduisant ainsi à néant le travail fourni tout au cours de l’année.
Laissé à lui-même, sans défense généralisée, le vignoble vaudois aurait disparu sous les attaques du phylloxéra et du mildiou. L’organisation méthodique et générale de la défense contre ces deux ennemis était d’une telle importance qu’elle nécessitait l’aide efficace des autorités. Par la création de la Station viticole vaudoise, transformée plus tard en Station fédérale, nos vignerons trouvèrent le secours nécessaire pour triompher dans une lutte sans merci. Les hommes de science qui ont consacré à cette œuvre leur temps et leurs peines se sont acquis dans notre pays une reconnaissance durable.
Combattu avec une énergie unique en pays viticoles, le phylloxéra fut constamment tenu en échec, ce qui permit la reconstitution préventive et progressive de l’ensemble du vignoble sur vignes américaines, tout en maintenant sa production quantitative. Longeant les coteaux admirables de Lavaux, au moment de la pleine crise phylloxérique, aucun des passagers des bateaux de la Compagnie générale de navigation du Léman n’aurait pu supposer qu’une lutte à mort se livrait dans le pays contre cet ennemi redoutable.
Lors de l’application des premiers sulfatages dans le vignoble vaudois, vers 1886, pas un vigneron n’aurait pensé que, plus tard, l’ensemble du vignoble devrait être traité quatre, cinq fois et même davantage en cours de végétation. Bientôt, en effet, le champignon mildiou se révéla l’ennemi le plus dangereux de la vigne, nécessitant une observation continue des conditions météorologiques afin d’appliquer les pulvérisations aux époques convenables. En dépit de très nombreuses recherches effectuées en particulier durant la période de guerre, aucune substance ne s’est révélée capable de remplacer entièrement le cuivre, qui reste le produit spécifique pour combattre le dangereux champignon. Une diminution notable dans la quantité de cuivre utilisée a cependant été obtenue par l’application du cuivre rouge ou cuivre Sandoz, dû aux recherches prolongées de la grande fabrique de Bâle.
Lorsque notre cher vignoble, après avoir vigoureusement résisté aux champignons et insectes qui l’attaquent, à la grêle et au gel, produit les belles récoltes caractéristiques des trois dernières années, on comprend la joie du vigneron à laquelle s’associe tout le pays.
La loi sur la viticulture
Si la lutte contre les ennemis de la vigne, d’une importance capitale, a été considérablement perfectionnée, il ne faut pas oublier d’autre part les grands services rendus par la loi cantonale du 19 novembre 1924 sur la viticulture, due à l’initiative du Dr F. Porchet, alors chef du Département de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.
Par une répartition rationnelle en diverses zones, par les remaniements et groupements parcellaires, l’établissement de nombreux chemins de dévestiture, l’amenée d’eau pour les sulfatages, le travail de la vigne s’est trouvé grandement facilité en de nombreuses régions viticoles. Grâce à un écartement plus judicieux entre les lignes de ceps, les machines ont aussi pu pénétrer dans le vignoble, permettant d’exécuter rapidement des travaux nécessitant jadis un temps considérable.
Sec, léger, capiteux…
Beaucoup s’étonnent, parmi les étrangers surtout, que le plant chasselas, dit fendant, recouvre les pentes ensoleillées de nos coteaux, alors que d’autres variétés de vigne produisant un vin plus aromatique, plus bouqueté, y prospéreraient certainement. Des goûts et des couleurs, point ne faut discuter, disent les sages de la terre. Le Vaudois est habitué, de génération en génération, à son vin sec, léger, capiteux, d’une richesse alcoolique suffisante. Il ne cherche ni ne désire l’apport de bouquets divers quels qu’ils soient, exception faite peut-être pour celui de pierre à fusil… De fait, les vins comme les raisins très bouquetés, agréables en petites quantités, ne tardent pas à rassasier le consommateur, au contraire du vin et du raisin de chasselas.
Si le vin blanc reste le vin préféré du pays, le vigneron vaudois sait cependant que le vin rouge est de plus en plus demandé en Suisse alémanique surtout. Guidé par les recherches effectuées à la Station fédérale de Lausanne, en particulier dans le beau domaine de Pully, il s’intéresse aujourd’hui à la culture des raisins rouges, en particulier aux raisins des vignes hy brides dites producteurs directs, obtenues par croisement entre les vignes européennes et américaines. Ces nouveaux venus, à condition d’être très soigneusement choisis dans la multitude, permettent d’obtenir un vin rouge de qualité suffisante, tel que l’exige la majorité des consommateurs.
La vigne produit le vin, mais aussi le raisin, fruit délicieux, aimé de tous, qui présente dans ses innombrables variétés une gamme étonnante de couleurs, de goûts, de parfums divers. Des recherches, dont l’importance économique est évidente, sont effectuées aujourd’hui dans nos vignobles pour y introduire un raisin de qualité, mais dont la peau, plus résistante que celle du chasselas, permettrait un transport facile à grandes distances. Les études entreprises s’étendent aussi à la conservation des raisins choisis, de façon à assurer leur mise en vente tout au moins jusqu’aux fêtes de fin d’année.
Respectons le vin…
Mais à vue humaine, la vigne restera toujours et surtout la plante précieuse qui fournit le vin, associé aux fêtes officielles et familiales, procurant aux hommes un élément de joie et de plaisir nécessaire à une vie normale. Il faut respecter le vin, ne pas en abuser, se rappeler les sages propos du vigneron qui définissait les deux manières de mépriser le vin: n’en pas boire ou en boire trop. Le recommandation peut s’appliquer à beaucoup d’autres domaines.
Les paroles prononcées par un viticulteur célèbre, dans un congrès international tenu peu de temps après la guerre mondiale de 1914-1918, nous reviennent à la mémoire : « Puisse le vin, le bon vin, accomplir ce miracle. Nous faire comprendre les fautes que nous commettons tous. Nous faire pardonner les erreurs que nous avons tous défendues. Nous faire voir le monde dans la lumière rosée annonçant l’aurore d’une longue journée où régnera une paix efficace et active au milieu d’un seul peuple de frères ». Souhaitons que ce vœu généreux trouve une réalisation effective après la terrible guerre qui désole aujourd’hui l’humanité
Article de H. Faes paru dans La Petite Revue: gazette du village du 27 février 1945
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