Le Non-Filtré de Neuchâtel, huit mois plus tard
J’avais initialement prévu de réaliser cette dégustation au milieu de l’été, à une période où les températures ne pouvaient que renforcer le caractère frais de ces vins.
J’avais peut-être oublié que la période estivale c’est aussi celle, où, à tour de rôle, nous sommes en vacances, souvent loin de chez nous.
Cette dégustation s’est donc déroulée à la fin septembre, et, quand bien même les températures n’étaient pas estivales, les vins n’en ont été que plus à la hauteur. J’aimerais remercier Violaine Blétry, directrice de Neuchâtel Vins & Terroir pour son aide à cette dégustation, puis que c’est elle qui s’est chargée de rassembler et de m’envoyer les vins.
J’en profite pour remercier à nouveau la direction et le personnel du Grand Hôtel des Endroits, à La Chaux-de-Fonds, qui nous ont très bien reçus.
Ces vins de Non-Filtrés ont été dégustés de façon aléatoire, en semi aveugle puis que le millésime était connu : 2015
Mes flacons préférés du jour ? Je leur ai offert une photographie un peu plus grande qu’aux autres.
Cave des Lauriers, Jungo & Fellmann : très belle olfaction intense, sur des notes d’agrumes (pomelos), et d’ananas. très bel équilibre en bouche, le vin est à la fois riche et frais, doté d’un joli gras. Très belle longueur finale. Avec cette cuvée, notre dégustation était vraiment bien lancée. Ce vin, avant même d’être dévoilé faisait l’unanimité autour de notre table. Bravo aux deux cousins Jean-Marc et Christian, qui, année après année, proposent une gamme de vins « artisanale », dans le meilleur sens du terme.Cave du Prieuré de Cormondrèche (Corcelles-Cormondrèche) : Le nez est moins intense. Moins porté sur le fruité, il apparait plus minéral. Il n’en est pas moins fin et frais. La bouche est dans un style diamétralement opposé au vin précédent : droit et tendu, avec un petit amer (positif) qui apporte un supplément de complexité à la bouche, qui s’ouvre à l’aération. Un seul petit regret : la longueur en bouche était un peu courte pour les dégustateurs.
Dès les deux premiers vins, la dégustation était clairement dessinée : deux styles de vins allaient s’offrir à nous, sans que l’un soit supérieur à l’autre. C’est une question de goût qui fait la différence.
Cave Chatenay (Areuse, Boudry) : le nez était un peu fermé, avec une note de fumée et aussi d’agrume (citron). La bouche était tendue, vive donc, mais élégante, avec un caractère minéral marqué, car légèrement saline en finale. Belle longueur finale.Domaine de Montmollin, Auvernier : Nez très marqué par des notes de fruits exotiques comme l’ananas. La bouche s’avère ronde, très grasse, avec un carbonique très présent, qui accentue la fraîcheur de la matière. C’est un vin presque visqueux en bouche, tant les levures sont présentes, mais il n’est pas lourd, et, en définitive, possède un bel équilibre. Jolie longueur finale. J’aime à rappeler que le dom. de Montmollin produit une part de non-filtré plus importante que bien des caves. Il en produit jusqu’à 25 % de son volume de chasselas, contre 10 % en moyenne dans les caves du canton.Domaine des Balises, René-Pierre Nicolet (Bevaix) : Le nez était discret à l’ouverture, légèrement mentholé, puis sur des notes d’agrumes. Bouche grasse et fraîche, fine, manquant un peu de matière en bouche pour certains, mais globalement c’est un vin qui a été apprécié par le groupe.Domaine Grisoni (Cressier) : Nez discret, mais la bouche a été jugée élégante, car son toucher était très fin et équilibré, mais manquant un peu de matière et de longueur pour certains.Serge Divernois (Cornaux) : un cru franc, avec un très joli nez, entre fruits exotiques comme l’ananas, et sur les agrumes, mais aussi de poire. Un dégustateur parle de curry également. La bouche est riche et grasse, élégante, avec un petit carbonique qui accentue la fraîcheur de la matière. Un bel amer se greffe sur la finale. Un vin très apprécié.Domaine Hôpital Pourtalès, Cressier : nez élégant et sur le fruit (pèche blanche) et avec une pointe mentholée. La bouche est ciselée, fraîche, fine, élégante, de belle longueur. Un autre vin stylé et apprécié.François Gasser (Boudry) : La robe apparait évoluée, d’un jaune plus profond que les autres vins. Le nez n’est pas très intense, avec des notes de poire dominantes. La bouche est équilibrée, fine et fraîche, avec un joli gras, une légère amertume finale, et une belle longueur.Château d’Auvernier (Auvernier) : un autre vin qui se présente avec une dominante minérale pour « contre-balancer » le fruité (pomelos). Bouche bien définie, avec de la vivacité, une légère amertume, et une belle longueur. Un vin très apprécié par le groupe pour son style tout en franchise.Domaine Valentin, Nicolas Ruedin (Cressier ) : Le nez est fin et frais, fruité sur des notes d’agrumes. La dominante de sa bouche est la finesse et la fraîcheur, avec un petit amer discret. Jolie longueur. Un vin équilibré, sapide et élégant.Domaine de La Grillette (Cressier) : Nez de belle intensité avec des notes citronnées. La bouche est marquée par un carbonique à l’attaque. Le caractère minéral du vin apparaissant au milieu de bouche. Jolie finesse, c’est un vin droit et équilibré, de belle longueur.Domaine des Cèdres, Jean-Christophe et Martin Porret (Cortaillod) :
Nez intense et fin, sur les agrumes, voire même les écorces d’agrumes. La bouche est fraîche, délicate, droite, équilibrée et longue. Un vin précis et charmeur, et, véritable coup de coeur autour de la table.Jean-René Félix (Cortaillod) : joli nez, fin et de belle intensité. On parle de Kumquat et de fruits blancs. En bouche, le carbonique est marqué. Elle manque de relief, de profondeur. La longueur est jugée un peu courte.Olivier-Bernard Brunner (Bevaix) : Le nez est fermé. On évoque une présence soufrée marquée. La bouche manque de structure, de matière. La longueur est jugée courte.Chantal-Ritter Cochand (Le Landeron) : Joli nez, frais et fruité avec des notes de pêche, de brugnon. La bouche est à l’avenant : fraîche, très fine, équilibrée, discrètement minérale et longue. Un cru très apprécié. Un dégustateur s’offrant un jeu de mot : « Cochand qui s’en dédit » !Domaine Christalain, Christian Kupfer (Boudry) : Nez sur le fruit (citron), avec un petite note mentholée. La bouche est bien définie, fine et fraîche, équilibrée, , avec un jolie longueur finale, un peu saline.Abbaye de Bevaix, Boris Keller (Vaumarcus) : Le nez n’était pas le plus expressif au service. Mais il s’est bien ouvert à l’ouverture sur des notes de fruits blancs. La bouche était précise, tendue, mais équilibrée, fine et de belle longueur. Un vin très apprécié.Cave de La Béroche (St-Aubin) : nez fruité, des fruits jaunes (pèche). La bouche est très fine, fraîche, un peu grasse, équilibrée, avec un petit amer final qui apporte de la complexité. Belle longueur. Un autre vin très apprécié.Cave St-Sébaste, Jean-Pierre Kuntzer (St-Blaise) : Le nez est complexe, avec des notes de fruits blancs comme le melon, la pèche. La bouche est très précise, fine et fraîche, riche aussi. Ce vin se présente avec un caractère salin marqué. Il est équilibré, distingué, et avec une très belle longueur finale. Coup de coeur général autour de la table.Alain Gerber (Hauterive) : nez sur des fruits exotiques comme la papaye, mais aussi de la pèche. La bouche est fine, bien équilibrée, mais elle semble manquer d’un peu de volume. Jolie longueur finale.Voici une dégustation qui a très largement tenu ses promesses. Le Non-Filtré neuchâtelois, est clairement bien plus qu’un vin d’apéritif, que l’on boit au coeur de l’hiver sur le zinc d’un bistrot, entre copains, où, pour accompagner une fondue moitié-moitié, un plateau de fromages à pâtes dures où de tommes, voire un poisson du lac.
Relevons que si le vignoble neuchâtelois est à la pointe en terme de surface cultivée en bio en Suisse (plus de 10% des 600 ha, et ce n’est pas fini), le nombre de vinificatrices n’est pas en reste non plus.
Quatre vins de cette dégustation ont été vinifiés par des dames : Chantal Ritter-Cochand, Christelle Delamalmaison (dom. de Montmollin), Janine Schaer (cave Châtenay et cave du Coteau), qui est la vinificatrice la plus titrée du pays peut-être, après Madeleine Gay, et Annie Rossi (dom. de La Grillette). Quel canton peut en dire autant pour une vingtaine de crus ?
Et la jeune génération arrive en force. Je pense à Sophie Porret, Elodie Kuntzer, déjà Ing. oenologues diplômées, et à quelques autres (pas loin d’une demi douzaine), qui gèrent déjà la cave familiale, où achèvent leur formation à Changins.
Pour revenir au Non-Filtré, nous avons donc deux styles de vins, l’un plutôt gras, et fruité, souvent carbonique et avec une turbidité marquée, et l’autre, plus minéral et tendu, mais pas moins fruité souvent aussi. Ces deux styles ne s’opposent pas. Ils trouvent l’un et l’autre leurs supporteurs, et, sans aucun doute, ils se complètent. Une chose est certaine, huit mois après leur mise sur le marché, ces non filtrés étaient en pleine forme, et la plupart d’entre eux devraient le rester quelques années sans grande difficulté.
De plus en plus de dégustateurs, dont je fais partie, sont même convaincus que leur potentiel de garde est, grâce aux levures présentes, supérieur à la majorité des chasselas du canton.
Article de Laurent Probst paru le 22 octobre sur le site Vins Confédérés
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