La vigne en gobelet, une tradition bientôt révolue
Article de Cécile Collet paru dans le 24 Heures du 21 janvier 2019
Le petit gobelet vaudois a déserté les tables de dégustation, laissant la place au verre à pied. Son homonyme désignant la taille traditionnelle de la vigne suit le même chemin: les ceps bas attachés en gobelet à leur propre échalas ont laissé la place à la vigne mi-haute palissée sur fil (aussi appelée guyot) dans la majeure partie du vignoble vaudois. En Dézaley, la Ville de Lausanne en conservait encore 2 hectares au Clos des Abbayes. La moitié vient d’être arrachée et le reste suivra dans quatre ans.
Pour autant, Luc Dubouloz, vigneron de la Ville, se défend de vouloir faire table rase. «C’est une évolution du métier. Avec le guyot, on a moins d’heures de travail (ndlr: de 30 à 60% selon les parcelles), moins de coûts et moins de pénibilité», résume-t-il. À cela s’ajoute la tendance à l’enherbement des sols, difficile à maîtriser avec une taille basse. Ces avantages se résument en un mot: la mécanisation. Débarquées dans les années 1970, les machines ont en effet redessiné le vignoble en larges lignes horizontales, facilement mécanisables (lire encadré). Si le Dézaley a résisté plus longtemps, c’est que sa pente et ses parcelles morcelées empêchaient le travail des chenillettes.
«Une Ferrari sur l’autoroute»
Les pentes du Chablais ont aussi ralenti la mutation. «À Yvorne, le gobelet recouvrait encore 80% du vignoble il y a vingt ans, avant le remaniement parcellaire», témoigne Jean-Daniel Suardet, vigneron du Clos du Rocher et du Château Maison Blanche. Lui en cultive encore une dizaine d’hectares sur ces deux domaines. Et il est convaincu. «C’est un magnifique système de culture, si on fait abstraction du facteur économique», nuance-t-il.
Magnifique? Ancien chef de la viticulture et de l’œnologie d’Agroscope Changins-Wädenswil, François Murisier est admiratif de ce système «parmi les plus performants physiologiquement». Rationnel par rapport à la photosynthèse, exposé à 360 degrés, il favorise le rendement sans perdre la qualité, et ses ceps bas consomment peu d’eau. Mais les quotas, qui autorisent en moyenne un rendement de 1,2 kg par mètre carré, rendent désuet ce système qui peut en produire plutôt 1,7 kg. «C’est comme avoir une Ferrari et le droit de rouler qu’à 80 km/h sur l’autoroute», illustre Jean-Daniel Suardet.
La vigne sentimentale
Le ton du vigneron est presque sentimental, quand il parle de «la vigne de grand-papa». «En viticulture, on est toujours coincé entre tradition et rationnel, admet-il. On s’attache à une image, c’est aussi ça qu’on vend. Si Obrist a voulu conserver le gobelet, c’est aussi parce qu’il a fait la valeur du Clos du Rocher.» En Dézaley, la Ville de Lausanne est consciente de cela: quelques ceps traditionnels seront maintenus à côté de la terrasse où se déroulent les dégustations. «Les gens aiment bien», témoigne Luc Dubouloz.
«On a appris la taille avec le gobelet, rappelle François Murisier. C’était de l’art!» Le spécialiste évoque «La Leçon de Taille» de Frédéric Rouge, image d’Épinal du vigneron vaudois sur laquelle un vieux barbu apprend le maniement du sécateur à un garçonnet. Au-delà des considérations économiques et sentimentales, qui mettent tout le monde d’accord, reste encore à départager ceux qui considèrent que l’on fait du meilleur vin avec le gobelet et les autres. Pierre-André Jaunin, à Chexbres, fait partie des premiers, lui qui a replanté toutes ses vignes (1,4 ha) en gobelet dès le milieu des années 1980, quand tout le monde faisait l’inverse. Pour Luc Dubouloz, l’enjeu de la qualité n’est pas un argument.
La question fait sourire François Murisier. «Le discours sur ce thème ressemble à celui qu’on tient sur les races de bétail! On a dégusté pendant des années à Agroscope: c’est vrai que le gobelet donne des raisins un peu moins acides, car plus exposés. Mais il n’y a pas une grande différence de qualité.» D’autant que la vinification s’est bien améliorée. «Et la nouvelle génération s’attache plus au produit fini qu’à la manière d’y arriver», conclut Jean-Daniel Suardet.
En savoir plus
Gobelet
Dans la vigne en gobelet, chaque cep a son propre échalas. Les rameaux y sont attachés au printemps, formant comme une coupe arrondie et indépendante. Les raisins sont exposés à 360 degrés.
Guyot
La taille en guyot, en cordon royat ou mi-haute, fait courir les rameaux sur des fils de fers tirés sur de longs rangs réguliers d’est en ouest. Entre chaque rang, une terrasse rompt la pente et permet le passage de machines.
Une histoire d’érosion
Si les amateurs de vin sont attachés à la taille en gobelet, c’est qu’avant 1970 tout le vignoble en était recouvert. Plantées en rangées verticales, les vignes montraient des ceps bas et trapus et une forêt d’échalas. Vers la fin des années 1970, on crée des «vignes en travers», raconte François Murisier dans «Les Acteurs de la Vigne» (Revue historique vaudoise, 2018). D’abord pour freiner l’érosion et éviter au vigneron le remontage de la terre après les vendanges, mais aussi pour faciliter la mécanisation et réduire la pénibilité du travail. On arrache donc petit à petit le gobelet pour tailler en guyot, sur fil en rangs horizontaux. À l’époque, les vignerons craignent des réductions de rendement et une perte de qualité. On considérait alors que l’orientation nord-sud des rangs était plus favorable à la captation de l’énergie lumineuse. L’introduction des cépages rouges, moins fertiles sur les bourgeons de base (proches de la souche) que le chasselas, a aussi plaidé pour la taille mi-haute.
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