Le chasselas se dévoile en douceur
Le Mondial dédié au cépage préféré des Vaudois invite le jeudi 12 décembre à en découvrir une facette méconnue
Article de David Genillard paru dans le 24 Heures du 7 décembre 2019
Une trentaine de crus dont la teneur en sucre dépasse 4 grammes par litre concourent en moyenne chaque année au Mondial d’Aigle, sur les quelque 900 en dégustation (867 en mai dernier). Dans cette catégorie relativement marginale, c’est un vin vuargnéran qui a raflé la première place cette année: l’Ange et Démon, assemblage de chasselas et de doral des Artisans Vignerons d’Yvorne (AVY). «C’est une première, salue Claude-Alain Mayor, secrétaire général du Mondial. Généralement, ce sont les Allemands qui dominent.»
En terres vaudoises, de nombreux vignerons s’y frottent depuis quelques années. Le style suscite-t-il un regain d’intérêt? «Il y a surtout un regain d’intérêt pour la diversité, corrige le secrétaire général. Les producteurs aiment aujourd’hui proposer une gamme plus large, capable de toucher une clientèle variée.»
Fier du prix glané en mai, Ludovic Parisod indique que l’Ange et Démon, lancé il y a six ans, reste un produit peu rentable: «Ça demande beaucoup de travail, pour un petit volume, explique le responsable de la cave de l’AVY. Avec 1000kg de raisin, on peut sortir 800 à 820litres de moût pour un chasselas classique. Contre 400 litres de doux.»
Son élaboration demande par ailleurs du soin et de la patience. Pour concentrer le sucre dans les baies, on peut les laisser sur souche. Mais la vendange tardive nécessite des conditions particulières: du froid mais pas trop et du sec. «En Allemagne ou au Canada, il existe encore la tradition de l’Eiswein, ajoute Claude-Alain Mayor. Historiquement, on sonnait le tocsin dès que la température atteignait 7 . Tous les villageois se levaient au milieu de la nuit pour aller vendanger et presser avant que le raisin ne dégèle.»
Autre option: faire sécher les grappes dans un local ventilé et où les conditions de température et d’hygrométrie peuvent être maîtrisées. L’AVY a fait ce choix: les grappes sont cueillies à la même période que dans le reste du domaine. Disposées dans des cagettes, elles sont passerillées à Lavey, à la cave du Courset. «Cette opération peut prendre un bon mois, selon la teneur en sucre recherchée», explique le maître des lieux, Richard Bonvin. Pour son Ange et Démon fermenté et mûri en barrique, l’AVY vise les 170 Œchslé. «Pour un chasselas classique, on est en général à 70-75 », précise Ludovic Parisod. À Aigle, Stéphanie Delarze a choisi de mêler les deux techniques pour créer son Doudou (100% chasselas): «La surmaturation est importante car elle va amener tout une palette d’arômes.»
Dans les deux cas, la patience et la place nécessaire, tout comme le faible rendement du raisin en partie séché, ont forcément un coût: «Ce sont des vins souvent chers et cette cherté a contribué à leur baisse de popularité», note Claude-Alain Mayor.
«Remise en question»
Dans le monde des vins doux, le chasselas reste une curiosité peu répandue. «A priori, il ne s’y prête pas spécialement, estime Claude-Alain Mayor. Il manque d’acidité pour contrebalancer le sucre. On pourrait croire qu’il donne des vins un peu mous. Mais, curieusement, ce n’est pas le cas.» «C’est aussi un cépage plus sensible que d’autres. C’est compliqué de l’amener à surmaturation sur souche. Et ce n’est pas un grand fabricant de sucre comparé au pinot gris, par exemple», ajoute Stéphanie Delarze. L’Aiglonne a imagine son Doudou en 2000: «À l’époque, le chasselas avait beaucoup de détracteurs. J’ai voulu les pousser à se remettre en question.» Pour l’Aiglon Daniel Dufaux, qui vient de quitter son poste de président des œnologues suisses, «c’est précisément sa rareté qui le rend intéressant. Ce cépage est peu intense. En le concentrant, on améliore forcément le résultat.»
Category: Chasselas on tour