Chasselas, perlan, fendant… Vive le retour en grâce du petit blanc!
«Deux de perlan, s’il vous plaît!» A l’heure de l’apéro, cette petite phrase retentira peut-être bientôt dans les bistrots du bout du lac. L’appellation d’origine contrôlée perlan fait en effet son retour sur les étiquette des bouteilles de chasselas genevois. Après des années de disgrâce. À l’origine de ce come-back: le vigneron Daniel Brenner, de Saconnex-d’Arve, qui avait envie de remettre en valeur ce nom «sympathique, facile à dire et qui communique bien.» L’allusion au caractère légèrement carbonique de ce blanc est élégante. Mais le mot traîne, malgré lui, une lourde réputation. «Dans les années septante et quatre-vingts, les moûts étaient très acides et ce vin était énormèment chaptalisé, précise Nicolas Bloch, collègue de Daniel Brenner. D’où son surnom de lave-vitres». Peu rapicolant, il faut l’admettre. «Le nom perlan était surtout utilisé par la coopérative Vin-Union Genève, se souvient Claude Débaillet, œnologue cantonal de 1963 à 1999. Elle encavait alors 80% du vin genevois et la qualité du pressurage n’était pas optimale. Ce perlan, souvent vendu en litre, n’avait pas très bonne réputation.» Mais tout cela, c’était avant. Avant l’introduction de l’AOC Genève et des rendements maximum à l’hectare. Le nom a disparu à la fin des années nonante, avec la faillite de Vin-Union et le redressement qualitatif des vins genevois.
Redorer le raisin
Grand défenseur du chasselas, le sommelier de l’Auberge de l’Onde à Rivaz (VD), Jérôme Aké Béda doute d’un véritable retour de l’appellation perlan. «Je pense que les meilleures vignerons ne mettront pas ce nom sur leur étiquette, à moins qu’une grosse et coûteuse campagne de publicité ne soit lancée pour remplacer le terme chasselas à Genève.» Car si les Valaisans se distinguent en appelant leur chasselas «fendant», c’est à l’aune de l’histoire (voir ci-contre). Sur Vaud, il fut un temps où l’on parlait de dorin, mais aujourd’hui, ce sont les noms de villages qui se sont imposés sur les étiquettes. En effet, le chasselas a la particularité de révéler la minéralité du sol avec beaucoup de subtilité. Ses crus se révèlent tour à tour fruités, bouquetés, légers ou corsés. «Pourquoi lui ressusciter des sobriquets d’antan alors que le monde entier le redécouvre sous le nom de chasselas», s’interroge Jérôme Aké Béda, auteur du livre Les 99 chasselas à boire avant de mourir. Je suis un afficionado des chasselas de terroir. C’est dans cette voie qu’il faut communiquer.»
Un blanc en disgrâce
Car le petit blanc vaudois revient de loin. Au tournant du siècle, il a pris un sacré coup de sécateur. Assorti d’une réputation de vin de soif, d’apéritif, voire de pillier de bar, il perd rapidement du terrain au profit notamment des vins rouges, réputés bons pour le cœur et les artères. Le chasselas, ça a eu payé. Ça ne payait plus! Les ventes s’effondrent et les vignerons romands réalisent qu’ils doivent diversifier leur offre pour espérer contrer le marché étranger. L’affaire devient nationale. Entre 2003 et 2011, la Confédération subventionne la reconversion du vignoble helvétique pour accélérer le remplacement de 500 à 1000 hectares de chasselas et de müller-thurgau par des cépages répondant mieux à la demande du marché. Entre 1995 et 2015, la surface de chasselas a diminué de 30% sur le sol helvétique, au profit de cépages rouges ou de spécialités. Depuis quelques années toutefois, la disgrâce a pris fin. «S’il s’en arrache encore, c’est par choix. Pas parce qu’il ne se vend pas bien, relève Frédéric Borloz, syndic d’Aigle (VD), député libéral-radical et président du Comité de l’Association pour la promotion du chasselas. Malgré les encouragements à l’arrachage, Vaud et Neuchâtel y sont restés fidèles. Genève y revient. C’est en Valais qu’il a cédé le plus de terrain. Les vignerons valaisans ont peut-être eu tendance à percevoir le fendant comme un vin de grande production. Mais, désormais, il est de plus en plus traité comme une spécialité.»
De vin d’apéritif, le chasselas s’est fait une place dans la gastronomie, aux côtés du plat principal. La typicité de ses terroirs s’est raffermie. On lui reconnaît même des qualités, après dix ou quinze ans en cave. Les initiatives de promotion comme le Concours mondial du chasselas et la fête qui l’entoure, lancés à Aigle dès 2010, renforcent sa popularité. Les publications de Jérôme Aké Béda et de la journaliste alémanique Chandra Kurt, De Féchy au Dézaley, ou du réalisateur Florian Burion avec son film Chasselas Forever, ont redoré le blason du petit blanc qui s’invite même sur les tables parisiennes. De quoi redevenir prophète en son pays.
Article de Marjorie Born paru le 10 novembre 2016 dans Terre et Nature
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