Chasselas just in time
Article de Pierre Thomas paru sur thomasvino.ch le 5 juin 2016
La compétition a réussi à attirer, cette année, 767 échantillons (contre 693 en 2015). Autant d’espoirs de médailles d’or et d’argent, octroyées au maximum à 30% des vins, selon les normes de l’Organisation interntionale de la vigne et du vin (OIV), qui avait délégué une observatrice. Car les dégustateurs font une confiance aux organisateurs, aussi aveugle que la dégustation elle-même. Cette année, le premier jour a été marqué par une panne informatique, et le retour au papier (le Concours Mondial de Bruxelles, qu’ambitionne d’organiser Aigle en 2018, procède depuis 25 ans sur papier, sans problème !) et l’informatique pédalait un peu dans le brouillard le second jour.
Une dégustation (très) aléatoire
Ni le millésime (mais une écrasante majorité de 2015, sauf dans la catégorie des vieux millésimes, bien sûr), ni la provenance ne sont révélés aux quelque 70 jurés (des tables de 7, alors que 5 avis suffisent). Cette année, les vins de toutes provenances ont été jugés dans un ordre de présentation aléatoire. Les jurés n’ont reçu aucune information préalable : sur les 767 vins, la présence des suisses est écrasante, puisque 49 vins étaient allemands (le Pays de Bade est le deuxième plus grand vignoble planté en chasselas, avec 1400 ha, derrière Vaud, mais devant le Valais) et 21 français (Pouilly-sur-Loire, Haute-Savoie) et quelques autres, américain, hongrois et même un mexicain !
Ce double ordre aléatoire, du millésime et de de la région, sur un cépage aussi délicat que le chasselas, est discutable, sachant qu’on veut, précisément, mettre en avant sa qualité de révélateur à la fois des qualités du climat et de la nature du sol!
A ma table, où il n’y avait aucun juré vaudois (moi excepté), alors que nous déplorions la grande «tendreté» des vins dégustés, liée à la chaleur constante de 2015, s’est présenté un vin plus vif à l’attaque, d’une belle palette aromatique en milieu de bouche, sans doute en-dehors de la majorité des vins dégustés jusqu’ici. Eh bien, il n’a pas obtenu la note qu’il aurait, peut-être, décrochée s’il avait été en comparaison avec des vins de sa région… Et on a eu une vive discussion sur un 2014 remarquable pour ce millésime, mais jugé trop différent des autres vins de la journée pour mériter une note haute.
Un 2009 très jeune et un autre trop vieux!
Même dilemme pour de vieux vins : au lieu d’être dégustés par unseul jury, qui aurait pu se formater sur la notion de «vieux millésime» (un 2009 est-il un «vieux millésime»), ils l’ont été par toutes les tables. Un vin d’une belle jeunesse de 2009, sans la moindre caractéristique de «cheveu gris» et son suivant, hélas vieilli prématurément, ont provoqué un vif débat à ma table pour un grand écart surprenant sur ce millésime… Et une projection pour les 2015 : des vins très tendres seront-ils capables de s’améliorer en vieillissant ? 2009, comme 2003, ont été des millésimes très chauds. Et si un 1999, floral, frais, a été bien noté, le caractère «pétrolé», voire de café, d’un 1990, à la rétro longue et d’une magnifique complexité, où je pouvais, sans conteste, affirmer que ce vin s’est «amélioré en vieillissant», a été boudé par les dégustateurs plus techniques de la table. Même remarque pour les «vinifications spéciales» où le bois, en général, a été jugé davantage comme un handicap qu’une qualité pour ces vins blancs.
Une dégustation à large spectre hasardeuse
Autant dire que, plus que pour d’autres cépages, la dégustation du chasselas «à l’aveugle» sur un large spectre est extrêmement délicate, pour ne pas dire hasardeuse.
Aux organisateurs du Mondial du Chasselas, qui espèrent décrocher l’organisation du Concours Mondial de Bruxelles 2018 (après Valladolid, en 2017), on souhaite de s’inspirer de ce grand concours et de remettre la liste des vins dégustés par eux aux jurés, qui s’engagent à ne pas la publier, bien sûr.
Ainsi, aurais-je pu mettre une origine et un nom sur les magnifiques no 9, 10, 11, 13, 20, 29 et 32 de la première journée. Plutôt que de devoir me contenter de dire que sur la trentaine de vins de 2015 dégustés ce premier jour, 9 révélaient des notes anisées, 5 des arômes d’agrumes, de citron vert et jaune, de mangue, 3 de tilleul, pour 8 qui conservaient des arômes lactiques, 4 organiques, 4 très tendres et même 4 douceâtres, l’amertume, l’astringence et la verdeur n’apparaissant que 3 fois dans des commentaires où ces adjectifs se combinent.
Sur ces échantillons, fort peu de verdeur et de réduction, ou d’arômes fermentaires (amyliques), trois caractéristiques souvent pénalisées sur le si délicat chasselas.
L’histoire illustrée du chasselas
Pour leur peine, les dégustateurs ont reçu trois bouteilles de chasselas (majoritairement des 2014) et un DVD du film de Florian Burion, «Chasselas for ever». Récompensé au Festival Oenovideo, à Cluny, l’an passé, du trophée du meilleur film professionnel, d’un prix spécial paysage et environnement, du prix spécial science et culture, et d’une mention du meilleur film international dans un festival espagnol, ce moyen métrage de près d’une heure cerne bien le passé et le présent du chasselas. Avec la caution scientifique de José Vouillamoz, ampélologue, qui a établi les origines lémaniques du cépage, avec de nombreux témoignages historiques sur ses origines avérées et ses légendes, avec des témoignages de producteurs (Blaise Duboux, Pierre Fonjallaz et l’Aiglonne Stéphanie Delarze), le film décrit, dans une forme pédagogique et documentaire, ce qu’est le cépage lié à son terroir.
Les images sont fort belles, notamment celles qui montrent en accéléré l’éclosion de la vigne, dont le cycle va au-delà de 50 minutes, comme le démontre le calendrier annuel de précocité des cépages, où le chasselas est l’étalon choisi depuis deux siècles… Le vin est, par contre, peu donné à voir et à discuter.
Mieux vaut, définitivement, le boire !
©thomasvino.ch
Category: Mondial du Chasselas 2016