Chasselas, il revient au galop
Il y a des cépages qu’on méprise : un peu, beaucoup, à tort ou à raison. Le chasselas en fait partie, sans doute, sauf évidemment pour les vignerons qui en produisent. Pour éviter de répéter bêtement des idées reçues, j’ai décidé d’accepter une invitation à venir en Suisse et à participer en tant que juré au récent Concours Mondial du Chasselas, près de Lausanne, et si possible, visiter quelques domaines dans cette région vaudoise qui est le fief indiscuté de la variété. Autrement dit, d’aller apprendre sur place, comme l’a également fait mon éminent collègue Marc, qui aura sans doute son mot à dire sur ce sujet un jour. Etant dans le même jury, nous avons constaté nos avis parfois divergents sur certains des mêmes vins, mais aussi notre accord parfait sur d’autres. Ainsi va la vie et le goûts !
Marc V, homme de l’ombre en Suisse (photo © David Cobbold)
Mais quelle est cette variété qu’on sert souvent en grappes dorées et juteuses sur table, peut-être autant qu’elle est pressée et transformée en vin ? Le livre de référence de Vouillamoz, Robinson et Harding, Wine Grapes, en dit long. Le Chasselas est un cultivar ancien, comme l’attestent ses très nombreux synonymes (on en cite une soixantaine dans ce livre). Ses premières mentions remontent au 16ème siècle et il est planté dans une dizaine de pays, tous en Europe sauf les Etats-Unis. Il est donc assez répandu, avec plus de 4.000 hectares en Suisse (son pays d’origine probable où il symbolise à lui seul la production du vin blanc), 2.400 hectares en France (surtout pour du raisin de table), plus de 1.000 hectares en Allemagne, mais aussi un peu ailleurs (Autriche, Italie, Espagne, Hongrie, Roumanie, Serbie, Croatie et Russie). Néanmoins, le commentaire d’introduction dans ce tome de référence est lapidaire : « French Switzerland’s characteristic variety producing soft, occasionally distinguished but often pretty ordinary whites. » Ne pouvoir se distinguer qu’occasionnellement et être condamné à ne produire la plupart du temps que des vins ordinaires n’est guère propice à de l’enthousiasme !
Vue sur vignoble dans le région de Lavaux, Vaud. Je vous conseille d’y passer, mais pas seulement pour la vue, aussi pour vous rendre au Lavaux Vinorama, en bordure du lac, ou vous pouvez déguster tous les vins du cru et voir un très beau film sur le cycle de la vigne et des gens qui font le vin (photo © David Cobbold)
C’est un peu dans cet état d’esprit, mêlé à une bonne dose de curiosité, que je suis donc parti en Suisse, jonglant avec les aléas des trains qui ne roulaient pas à cause de quelques gens qui font grève parce qu’on veut changer une structure: la même contre laquelle ils avaient fait grève il y a 17 ans ! (CGT, cela doit signifier « Contrat de Grève au Travail » ).
Et alors, peut-on trouver des vins intéressants faits avec le chasselas ? Oui, mais pas si souvent, et il faut aussi un peu de patience.
Les vins du concours que j’ai pu déguster ne représentaient qu’une infime partie des concurrents. Pendant la matinée à laquelle j’ai assisté, il y avait 22 vins du canton de Vaud, et 11 du Valais, tous issus du millésime 2013. Un certain nombre de ces vins avaient des défauts (souvent trop de soufre, parfois du gaz, plus rarement de l’oxydation), beaucoup m’ont semblé plats et sans relief, mais une des deux séries de vins vaudois contenait de bons vins que j’aurai bus avec plaisir. Il y a donc un peu d’espoir de sauver le soldat chasselas. Voyons comment….
La vue sur le Lac Leman est splendide depuis le chai du Domaine d’Autecour, à Mont-sur-Rolle (photo © David Cobbold)
L’après-midi qui précédait cette séance, je suis arrivé à temps pour une visite d’une des régions phares du chasselas vaudois, La Côte, entre Lausanne et Genève. Là nous avons visité le Domaine d’Autecour, à Mont-sur-Rolle et assisté à une très intéressante dégustation de millésimes anciens de ce domaine impeccablement tenu par la famille Schenk; même si j’ai trouvé un peu curieux les désherbage d’une petite parcelle de vieilles vignes juste devant la maison (voir ci-dessous : Jim sera content de voir qu’il n’a pas que la Loire qui emploie de telles méthodes).
Même si la vue sur la parcelle de vignes, juste devant la maison, semble un peu moins réjouissante ! (photo © David Cobbold)
La principale leçon de cette dégustation verticale était que le chasselas, en tout cas certains chasselas, gagne énormément d’un vieillissement. Très curieusement il semble gagner des dimensions qu’il ne possède que rarement dans sa jeunesse : en particulier fraîcheur, complexité et longueur.
On mêle outils traditionnels et modernes au Domaine de Autecour, à Mont-sur-Rolle (photo © David Cobbold)
Le Domaine de Autecour possède 6 hectares de vignes, dont 90% sont plantés de chasselas. Il achète aussi des raisins autour pour doubler sa production. Il est donc, selon la terminologie locale, « Vigneron/Encaveur ». Les méthodes de production mêlent outils traditionnels (foudres en bois) et plus modernes (cuves en béton et inox). Voici, ci-dessous, mes notes de dégustation sur leurs vins, qui bénéficient (du moins certains) d’un statut de 1er Grand Cru, mais ne me demandez pas ce que cela signifie car j’avoue ne pas avoir tout compris : je crois que c’est une sorte de label accordé chaque année, un peu comme un cru bourgeois de nos jours.
Les vins de la dégustation verticale du Domaine d’Autecour. Notez le passage à la capsule à vis, vers le milieu de la série. Je parie que ce changement technique va beaucoup aider dans la longévité et la netteté de ces vins (photo © David Cobbold)
Domaine d’Autecour 2012 (capsule à vis)
Légèrement frizzante, aux saveurs délicates d’abord, puis un peu fuyantes, ce vin gagne en longueur ensuite après un peu d’aération. Ses arômes tendres rappellent des fruits blancs. Assez neutre mais très agréable. Son absence d’acidité le rend très facilement abordable pour beaucoup que cette saveur peut rebuter dans un vin blanc (13/20)
Domaine d’Autecour 2010 (capsule à vis)
Le nez est différent de celui du 2012, ayant gagné de complexité en se promenant du côté des pêches blanches. Une acidité intégrée lui donne plus d’énergie en milieu de bouche et les saveurs, comme la longueur en profitent. Avec ce vin on passe dans une autre dimension du chasselas. (14,5/20)
Pourquoi cette photo ? Parce que j’aime beaucoup le dessin de l’écorce de cette magnifique platane devant la salle de dégustation du Domaine d’Autecour. Cela me faisait penser au chasselas qui prend certes des rides, mais aussi gagne du relief, avec l’âge. (photo David Cobbold)
Domaine d’Autecour 2005
Le SO2 semble dominer au nez. En bouche un vin tendre, à la limite du mou, mais avec des saveurs plaisantes. C’est moins complexe que le 2010, même s’il possède une pointe de fraîcheur en fin de bouche. Une sensation crayeuse ressort en finale. Certains disent que c’est de la «minéralité», mais je pense que c’est l’effet du soufre. Après tout, le soufre est un minéral. (13/20)
Domaine d’Autecour 2001
Encore un nez un peu trop marqué par le SO2, puis arrivent soupçons de citron, de cire et de verveine. Un beau volume en bouche avec une sensation de maturité (fruits jaunes). Une fois le CO2 résiduel passé, ce vin manque un peu d’acidité mais dévoile une longueur surprenante. Gourmand et facile, il a très bien tenu ses 13 ans. (14/20)
Domaine d’Autecour 1998
Très belle robe. Le nez, de fleurs et d’agrumes, rappelle aussi par moments ces arômes de type «pétrole» de certains rieslings (et que je n’aime pas personnellement). Cette fois-ci la fraîcheur en bouche est bien là, donnant de la vibration à ce vin qui devient salivant. Belle finale très nette dans laquelle persiste des saveurs fruitées. (15/20)
Domaine d’Autecour 1990
Le nez est étonnamment fumé, comme si le vin avait été élevé dans une barrique toasté (ce qui n’était pas le cas). Très suave en texture avec des délicieuses saveurs de fruits murs. Ce très beau vin est assez puissant mais jamais pesant. Il finit sur d’élégantes notes toastées. (16,5/20)
Domaine d’Autecour 1983
La robe commence à toucher la gamme des tons ambrés. Le nez rappelle l’écorce d’orange. La bouche est intéressante mais commence à paraître dissocié, signe probable d’un vin qui a passé son optimum. Il y a aussi une franche sensation d’oxydation, probablement due à un bouchon devenu un peu lâche. (13,5/20)
Domaine de Autecour 1971
Robe d’un ambre dorée. Nez splendide et très riche : de cire, de miel et d’épices. En bouche il a cette combinaison intéressante entre fraîcheur et longueur, qui jouent des tours avec ses somptueuses saveurs de fruit exotiques. Une très belle longueur signe un vin assez fabuleux et totalement surprenant, du moins pour moi. (17/20)
Vignes à Mont sur Rolle, Vaud (photo David Cobbold)
Conclusions sur cette dégustation
1. Oui le chasselas, du moins de bonne origine, peut vieillir et y a même intérêt. Lorsque le bouteille est bien conservée, le vin semble gagner en complexité, fraîcheur et longueur.
2. Il y a une très forte diversité dans la qualité, selon les millésimes.
3. Je pense qu’il y a toute raison de militer pour la capsule à vis avec cette variété. Moins besoin de soufrer, et meilleure conservation de ses arômes délicats. Il y a aussi, et surtout, le problème de la variation entre flacons du même millésime qui serait éliminé. Les producteurs m’ont dit avoir testé 5 ou 6 flacons des vieux millésimes pour n’en retenir que 3 de présentables. Ce cépage est donc très sensible à l’oxydation et le bouchon en liège n’est jamais fiable dans ce domaine. Le facteur liège pourrait expliquer, du moins en partie, le forte variation en qualité entre les millésimes dégustés.
4. Il serait intéressant de pratiquer une dégustation plus large, avec des vins issus de plusieurs domaines de qualité en Suisse, afin de valider ces impressions favorables mais qui restent nécessairement anecdotiques.
David Cobbold
Article paru sur le blog Les 5 du Vin le 23 juin 2014
Category: Le Chasselas aujourd'hui, Mondial du Chasselas 2014