La minéralité: le nom mystique du soufre?
Coordonné par Pascale Deneulin, professeur d’analyse sensorielle à Changins, un projet Interreg (cofinancé par la France et la Suisse) s’est intéressé à la minéralité. Dans un premier temps, 3600 professionnels et amateurs ont été interrogés. Leurs réponses ont permis de montrer que ce terme – très positif pour les professionnels, un peu moins pour les novices – variait en fonction de l’origine géographique des participants. Pour les Bordelais, la minéralité se trouve en Bourgogne et en Alsace; pour les Alsaciens, elle correspond aux notes pétrolées du Riesling; les Bourguignons la lient à l’acidité et les Suisses aux arômes de pierre à fusil. Dans un deuxième temps, 80 Chasselas, 34 Petite Arvine, 40 Chardonnay de Bourgogne et 31 du Jura ainsi que 40 Jacquère de Savoie ont été sélectionnés sur la base de notes de dégustation. Des vignerons des régions de production de ces vins leur ont ensuite attribué une note en fonction d’un critère unique: ce vin est-il «minéral»? A de rares exceptions près, les quelques 200 crus jugés ont divisé les dégustateurs. Lorsque dix experts considéraient un échantillon comme plutôt ou très minéral, il s’en trouvait au minimum deux ou trois pour le noter peu minéral et autant pour le classer comme moyennement minéral. Là encore, les origines jouaient un rôle non négligeable. La dégustation des 80 Chasselas a ainsi donné des résultats différenciés selon que les vignerons étaient Valaisans, Genevois, Vaudois, Neuchâtelois ou Bourguignons. Les vins considérés comme les plus minéraux et ceux considérés comme les moins minéraux par l’ensemble des dégustateurs ont ensuite été sélectionnés. Quatorze Chasselas (et dix vins de chaque autre cépage) sont passés devant le panel d’experts de Changins. Ceux-ci ont regroupé les vins qui se ressemblaient avant de les décrire. Si échantillons minéraux et non minéraux présentent une segmentation nette, et ce pour tous les cépages, on constate que, à côté des descripteurs positifs attendus (pierre à fusil, tilleul, notes empyreumatiques), on rencontre certains qualificatifs peu flatteurs: cuir, soufre et allumette pour les Chasselas; végétal, bonbon anglais et acidité pour les Jacquère; acidité et végétal pour les Chardonnay. A noter que la fraîcheur, aromatique comme en bouche, revient presque partout. La phase suivante du projet a été d’analyser ces vins pour voir en quoi les cuvées très minérales se distinguaient des très peu minérales. Deux éléments se révèlent significatifs: les vins très minéraux n’avaient en général pas fait ou pas terminé leur fermentation malolactique et présentaient un taux moyen de soufre (SO2 libre) supérieur aux autres témoins. Cette relation minéralité/soufre concorde d’ailleurs avec les descriptions spontanément données (allumette) par les dégustateurs lorsque ceux-ci ne savaient pas que la recherche portait sur la minéralité des vins. Il faut ajouter qu’à la rédaction de cet article, la partie analytique de la recherche n’était pas terminée et que des analyses de chromatographie gazeuse (pour définir la présence de molécules olfactives), dont les résultats seront présentés en détail à Agrovina 2016, sont encore en cours.
Avis d’experts
«Quand on demande ce que veut dire le mot minéralité, beaucoup de gens le relient au cliché qui voudrait que les minéraux passent directement du sol dans le vin. Pour la plupart des sondés, il existe un lien avec le terroir. Cette relation est intéressante, car il existe une corrélation entre les mots terroir et minéralité dans la sphère œnophile francophone. Minéralité a tendance à être de plus en plus utilisé dans les publications tandis que les occurrences relatives au terroir baissent de manière régulière depuis deux décennies. Une des hypothèses serait que, le mot terroir ayant été très galvaudé, la filière viticole a choisi un autre terme, la minéralité, pour remplacer ce substantif un peu trop usé. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que si les professionnels considérent la notion de minéralité comme très positive, quelques consommateurs novices y sont assez réfractraires et se perdent dans des comparaisons avec les eaux minérales. Ensuite, plus le niveau de connaissances œnologique augmente, plus la vision des amateurs se rapproche de celle affichée par les spécialistes. De même, lors des tests de dégustation hédonique, les vins définis comme les plus minéraux sont appréciés par les amateurs avertis mais ne sont clairement pas privilégiés par les consommateurs moins expérimentés qui leur préfèrent des blancs fruités ou boisés.»
Pascale Deneulin
Professeur d’analyse sensorielle à Changins
«Sans définition commune, la question de la minéralité ne peut trouver de réponse satisfaisante. Or je ne connais que deux types de vins pour lesquels cette notion fait plus ou moins l’unanimité: les Chardonnay de Chablis, en Bourgogne, et les Riesling d’Alsace. Les notes d’hydrocarbure typiques des millésimes qui prennent de l’âge sont liées au cépage, mais dépendent aussi du terroir. Dans les régions de Riquewihr ou de Ribeauvillé, on obtient facilement des crus pétrolés, c’est beaucoup plus difficile au sud de Colmar. A Turckheim, par exemple, personne n’élabore de Riesling pétrolé. Il faut donc une interaction entre la variété et le sol pour obtenir ces arômes caractéristiques. Pour les Chasselas, c’est beaucoup plus compliqué et quand on parle de minéralité dans les vins rouges, personne ne tombe d’accord. Pour ma part et en ce qui concerne les blancs vaudois, j’associe cette notion à une certaine salinité. Toutefois je pourrai modifier mon opinion sans difficulté si des avancées scientifiques venaient modifier nos connaissances sur le sujet. D’un point de vue technique, la minéralité n’est d’ailleurs pas une préoccupation majeure des vignerons vaudois. Personne ne m’a jamais demandé de conseils pour élaborer des vins plus minéraux, un attribut que les consommateurs ne jugent pas toujours d’un oeil positif…»
Philippe Meyer
Oenologue cantonal vaudois
Cet article est paru dans la rubrique Science de l’édition de décembre 2015 de VINUM
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