Les vins à boire avant de démissionner

Je vous avoue qu’au début je croyais à une nouvelle sortie du Gorafi. ”Purée, ils sont forts les gars, annoncer la démission de Blatter quatre jours après sa réélection pour un cinquième mandat.” La réalité dépassant parfois la fiction, c’était bien l’annonce de sa véritable future démission que le Valaisan venait de prononcer urbi et orbi. Ceci dit, il fallait le faire: annoncer son retrait quinze jours avant l’anniversaire du bicentenaire de la bataille de Waterloo. S’il avait eu le bon goût d’attendre deux semaines, on aurait eut le cantique du 18 juin, l’adieu à la vieille garde, un départ pour l’exil en fanfare. Âme charitable, nous pourrions suggérer à Monsieur le bientôt ex-Président de la Fifa quelques vins à déguster tranquillement en attendant le congrès. Il pourrait enfin profiter de ses vieux jours en regardant la valse des prétendants rivalisant d’intrigues pour s’installer sur le trône de fer du football mondial.
Devrait-on lui proposer quelques grands bordeaux? Il doit les avoir tous testés dans l’ordre et le désordre. Des vieux millésimes? Il aura fait des verticales de la longueur d’un terrain de foot. Des grands crus de Bourgogne? Même la Romanée Conti n’a pas de secret pour lui. Des champagnes d’exception? Aucun ne doit manquer à son palmarès. Ce qu’il faut, c’est épater l’ex-président, lui proposer des vins incongrus, de ceux qu’il n’a sûrement jamais bu, ni mêmes auxquels il pense en se rasant.

Boire un chasselas et puis mourir
Surprenons le surprenant président avec un vin de son pays, un vin d’un cépage valaisan, comme lui, un vin suisse, un vin neutre, un vin frais et minéral, un vin pour la soif, une éponge à terroir, un vin ductile, un vin de chasselas. Si M. Blatter était toujours président, nous devrions sûrement prétendre que les meilleurs chasselas proviennent de chez lui, du Valais, mais le courage venant lorsque les gens trébuchent, il nous est plus facile de préciser que c’est dans le canton voisin de Vaud que se produisent les meilleurs de ces vins, notamment dans les régions de Lavaux et de La Côte.

Le chasselas est également le cépage métronome en terme de maturité, une référence, un roc sur lequel est établie la classification de tous les autres cépages. Cette classification établie par Pulliat (ampélographe français né à Chiroubles en 1827 et mort en 1896) range les cépages en cinq catégories d’après leur date de maturation avec comme cépage de référence, le chasselas doré.

• Cépages précoces. Ils arrivent à maturation 10 jours avant le chasselas doré
• Cépages de première époque. Ils parviennent à maturation en même temps que le chasselas doré.
• Cépages de deuxième époque. La maturation s’achève 12 jours plus tard.
• Cépages de troisième époque. Maturation 24 jours après le chasselas doré.
• Cépages tardifs. Maturation 36 jours après celle du chasselas doré.Les chasselas seront à la fête avec la recette de Sophie Menut, terrine de courgettes au coulis de tomates: une belle acidité contrebalancée par un plat simple et savoureux

Donnez moi votre adresse et je vous envoie un livre
Si, Monsieur le président, vous lisez ces lignes, laissez-moi votre adresse en commentaire. C’est avec plaisir que je vous ferai parvenir l’ouvrage de Jérôme Aké Beda, sommelier à l’Auberge de l’Onde à Saint-Saphorin, et Pierre-Emmanuel Buss, journaliste tout juste retraité du Temps (Les 99 chasselas à boire avant de mourir, éditions Favre). Le bouquin est un peu lourd, cela me coûtera quelques timbres, mais en contrepartie il pourra toujours servir pour éloigner les importuns qui viendraient se réjouir de votre malheur juste sous votre fenêtre. À quelques jours du quatrième mondial du chasselas qui se tiendra à Lausanne, finalement pas si loin du siège de votre bientôt future ex-organisation, voilà encore une excellente raison pour vous suggérer l’étude de ces vins, certes parfois un peu acides mais ne manquant ni d’élégance, ni de raffinement, ni de particularités.

Article de Fabrizio Bucella, paru le 3 juin 2015 sur le blog du Huffington Post