Le chasselas se fait tout doux
Article d’Isabelle Bratschi paru le 29 janvier 2020 dans le magazine Femina
Ces vins d’exception demandent du temps et de l’attention. Une patience bien récompensée. Nos astuces pour les déguster et bien les associer, pas seulement à l’heure du dessert.
Le Mondial du chasselas 2019 a fermé ses portes sur de nombreuses médailles d’or et d’argent dans les catégories blancs secs, vinifications spéciales, vieux millésimes, swing (les vins à moins de 12°) et blancs supérieurs à 4 grammes de sucre par litre. C’est ce dernier domaine qui nous intéresse avec des vins extraordinaires, offrant des notes de fruits confits, de miel d’acacias, d’ananas grillé ou d’épices, quand il se fait plus vieux. À déguster avec un foie gras ou un fromage corsé.
Le chasselas doux est ainsi une merveille qui mérite d’être mieux connue. On le confond souvent avec un liquoreux, on aime dire de lui qu’il est réservé à la gent féminine ou qu’il contient plus d’alcool qu’un autre vin. Que de fausses idées! «Comme le sauternes ou le tokay, ces vins sont trop souvent relégués au dessert et c’est parfois la dernière bouteille du repas, celle qu’on n’ose plus ouvrir», précise Alexandre Truffer, président du Mondial du chasselas, créateur de romanduvin.ch et rédacteur en chef adjoint de la revue «Vinum».
«Ils possèdent un degré d’alcool assez faible, mais on a tendance à confondre la sensation d’opulence due au sucre avec l’alcool. Pour terminer, je dirais qu’il plaît autant aux hommes qu’aux femmes.»
Complexité aromatique
Obtenu de plusieurs manières, le chasselas doux demande de la patience. «Parmi les méthodes de vinification vous avez la vendange tardive, reprend Alexandre Truffer. La technique consiste à laisser le raisin sur les ceps le plus longtemps possible afin qu’il se dessèche naturellement. Vous avez aussi le passerillage: récoltés à maturité normale, les raisins sont séchés sur de la paille ou des cagettes. Enfin, il y a les méthodes technologiques comme la cryoextraction, qui consiste à congeler les raisins.»
Et le résultat vaut la peine, puisqu’il en ressort un vin séduisant, qui peut être très différent d’une cave à une autre. De moelleux à plus liquoreux, il saura plaire en toutes occasions. Toutefois, les productions sont petites et ces vins difficiles à trouver. Ainsi, sur le site des Artisans vignerons d’Yvorne, L’Ange et Démon, AOC Chablais 2017, champion du monde 2019, est signalé épuisé. Il faudra donc attendre le prochain millésime pour déguster ce délicieux vin surmaturé.
De manière générale, ce qui ressort du chasselas doux c’est son onctuosité et son incroyable complexité aromatique. «On a souvent des touches de miel, de fruits confits ou exotiques, ajoute le spécialiste. Je dirais même qu’il se dégage parfois un côté pâtisserie, genre meringue au citron.»
En outre, avec le temps le chasselas doux se bonifie. «Il peut se garder facilement une dizaine d’années. Vous obtiendrez alors un vin plus épicé aux notes de curry ou de safran.»
Normal, dès lors, qu’il s’invite à table bien avant le
dessert. Vin d’apéritif par excellence, il s’accorde aussi avec le foie
gras ou du beurre à la truffe sur un pain toasté. Il est parfait avec
le gruyère caramel de Jacques Duttweiler, un bleu de Saint-Gall ou un
schabziger. «Le chasselas doux va enrober le côté fort du fromage,
conclut Alexandre Truffer, permettant aux deux de s’exprimer
pleinement.» Et pour terminer tout en douceur, rien de tel qu’un sublime
accord avec le chocolat.
Notre sélection de 4 chasselas doux
Blanc de glace
Médaille d’or au Mondial du Chasselas 2019, le blanc de glace AOC Valais 2017 de Gregor Kuonen,
du caveau de Salquenen, mérite le déplacement. «Nous le vendangeons
vers le mois de décembre, beaucoup plus tard que le chasselas normal
pour concentrer le raisin en sucre, explique l’œnologue Larissa Kuonen.
La vinification se fait en barrique entière pendant six à sept mois
jusqu’à la mise en bouteille, vers la fin de l’été. Le chasselas doux
possède un bel équilibre, entre douceur et acidité. Il a du caractère et
un côté minéral. C’est personnel, mais je le trouve plus fruit que
fleur. Je ne le conseillerais pas forcément en apéritif, mais plutôt
avec un fromage bleu corsé pour le côté sucré salé ou au dessert, sur un
gâteau aux pommes, une salade de fruits ou un tiramisu.»
Héliodore
Plusieurs
fois primé, l’Héliodore est une petite merveille de douceur. «Ce
chasselas doux porte le nom d’une pierre précieuse de couleur ambre et
miel, explique Florian Davesne, œnologue, responsable des ventes et des
événements au château Le Rosey,
à Bursins (VD). Il est obtenu par cryoextraction, soit une
concentration des moûts par congélation. Il en résulte un vin à deux
visages, avec sa touche de miel, pain d’épice ou calisson, puis un léger
côté citron, agrume qui va donner de la fraîcheur. Je le marierais avec
un foie gras, j’oserais les huîtres. Je le verrais avec un bleuchâtel
ou une fourme d’Ambert. En dessert, il accompagne une tarte au citron
meringuée. Je le préfère avant tout avec des amis, car c’est un vin de
partage.»
Douceurs capricieuses
Christophe Bétrisey, artisan du vin à St-Léonard (VS), aime parler de son vin maintes fois primé tout en le buvant en apéritif pour mieux le décrire. Et si c’est à la table d’un de ses clients, le Café de la Place, à Châtel-Saint-Denis (FR), c’est encore mieux. «Notre chasselas flétri est obtenu par passerillage. Dans un local ventilé, nous laissons le raisin un mois sur claies, comme les vins de paille. Pour moi, le chasselas doux est un vin de plaisir, élégant et séduisant. Je dirais que c’est le premier vin qu’on aime et qu’il plaît aux jeunes. Il sent le coing, le raisin sec. Il est gourmand et offre aussi un bel équilibre et un côté floral. C’est un vin qui réchauffe en hiver. À déguster comme un deuxième dessert, tout à la fin du repas, avec des amis.»
Dézaley Grand Cru Récolte Choisie
Médaille d’or au Mondial du chasselas 2019, ce Dézaley Grand Cru Récolte Choisie AOC 2017 provient du renommé Clos de la République, en Lavaux (VD). Ainsi, Patrick Fonjallaz estime avoir atteint un bel équilibre avec un vin doux, mais pas trop: «Il charme dès le premier nez par son expression complexe de pêche et d’abricot, de mangue et une pointe d’ananas frais. Le plaisir se poursuit sur des parfums de cire d’abeilles, d’amande noble, et une fine touche florale évoquant la pivoine. La bouche se révèle puissante, d’une certaine opulence. Très équilibrée, elle se pare d’arômes de fruits bien mûrs, de pêche et d’abricot, d’agrume et d’ananas. Une belle acidité au palais soutient une finale à l’amertume particulièrement bienvenue. Il peut sans peine honorer un foie gras poêlé aux figues fraîches et surprendre avec une crème brûlée parfumée aux poivres des cimes du Vietnam.»
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