Comment accorder de vieux Dézaley aux plats
Article de David Moginier paru dans le 24 Heures du 22 février 2019
L’aptitude des vins du Dézaley à vieillir est attestée depuis longtemps dans les livres. Et les connaisseurs savent combien les blancs vieillissent souvent mieux que les rouges quand ils sont de belle origine. Enfin, le cas du chasselas est sans doute unique, lui qui passe d’un vin délicat quand il est jeune à un cru aux arômes tertiaires (sous-bois, champignons) et à la complexité affirmée après deux ou trois décennies. Le public commence enfin à le savoir et à ne plus jeter son chasselas oublié à la cave.
La Baronnie du Dézaley regroupe onze producteurs de l’appellation Grand Cru qui œuvrent à la défense de ces pentes escarpées de Lavaux. Pour continuer à convaincre, elle a organisé quatre master classes confrontant des vieux millésimes de la région à la cuisine de caractère de la Gare, à Cully, où Jean-Luc Vermorel est crédité d’un 14 au «Gault&Millau».
La quatrième se tenait le soir de la Saint-Valentin (!) au Clos des Abbayes de la Ville de Lausanne (non-membre de la Baronnie). Le temps de déguster les millésimes 2016 des membres (regroupés dans une caisse), on reste épatés par la diversité des vins dans un si petit terroir. Un point commun? De la fraîcheur, de la richesse et une petite salinité finale.
Mais place aux ancêtres. Un millésime 1995 d’entrée, celui d’Étienne & Louis Fonjallaz, reste un gamin, grandi dans un millésime pourri sauvé par l’automne. C’est vif encore, avec des notes florales, des touches d’agrume, du gras et de la longueur. Le chef a relevé son côté iodé pour l’acoquiner avec un taboulé aux agrumes, des crevettes marinées et une émulsion de homard. C’est bien joué. On continue avec un 2002 de Lambelet & Fils, presque plus évolué. Sa maturité n’a pas entamé sa jolie acidité, son côté agrume et exotique, qui rencontre son pendant avec cette ballottine de truite mi-cuite et sa marinade coco-citron vert. Le plat ouvre le vin, révèle sa grandeur et son élégance.
Le doyen vient du Clos des Abbaye, millésime 1979, à la faible production. 40 ans pour un vin de grande classe, aux arômes tertiaires qu’accompagnent la flore de montagne, les épices, la résine, l’iode toujours. Quelle jeunesse, quel caractère qui permet de le confronter à une puissante lisette marinée et rôtie, à deux purées, céleri-pomme et vitelotte, et à une tapenade, rien que ça.
On rajeunit avec le 1992 d’Antoine Bovard, pamplemousse et fleurs, des notes toastées et un vin massif. Le très grand millésime est resté élégant et souple face à un tartare de veau, parmesan, noisette et truffe noir. Conclusion par un 1988 du Domaine Chaudet, d’abord discret avant de révéler un nez de miel aux notes fumées, une bouche droite, grasse, une puissance qui tient le choc face à une poitrine de cochon de lait confite six heures au miel, avec des pommes fumées au sarment et un jus aux marrons.
La démonstration est convaincante. Reste à trouver des trésors dans sa cave, ou à en commander sur le site de la Baronnie qui offre encore des millésimes du IIe millénaire.
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