Naoyuki Miyayama, l’ambassadeur du Chasselas au Japon
Les Japonais montrent rarement leurs émotions. A 58 ans, Naoyuki Miyayama avait toutefois de la peine à les cacher lorsque Pierre Keller, président de l’Office des vins vaudois (OVV), l’a décoré lors d’une réception début avril à Tokyo. L’association le distingue pour ses efforts de promotion du Chasselas au Japon depuis quatre ans.
Né à Fukuoka, ville située à 1000 kilomètres à l’ouest de Tokyo, l’ambassadeur des vins vaudois dans l’Archipel démarre sa carrière comme journaliste au quotidien Nishi Nippon après des études d’économie. En 1995, virage à 180 degrés. Il fonde une entreprise dans les technologies de l’information. Il la revend dix ans plus tard. «J’étais davantage intéressé par la culture et plus particulièrement le vin. C’est la raison pour laquelle j’ai suivi dès 2000 et pendant deux ans et demi des cours d’œnologie dans une école à Tokyo», relève l’homme d’affaires aux allures de dandy qui privilégie le nœud papillon à la cravate.
Coup de foudre
Son idée de départ lorsqu’il crée Club Concierge en 2003 est de vendre des vins sur la Toile. Toutefois, il met rapidement une croix dessus. «Il y avait trop de concurrence et une lutte dans le segment des vins à bas prix. J’ai donc décidé de vendre des vins de qualité à la classe aisée de Tokyo. Je nageais à contre-courant de la tendance de l’époque», relève-t-il.
Le Chasselas, il le découvre un peu par hasard, en 2012. Il se rend en Suisse pour trouver une école privée pour sa fille. Dans l’avion, il tombe sur un article du magazine de Swiss écrit par la critique de vins Chandra Kurt, elle aussi récemment décorée par l’OVV. Elle y présente dix vins suisses, dont le Dézaley-Marsens De la Tour produit par les frères Dubois, à Cully. «Je me suis alors mis en tête de découvrir le Chasselas. Il était très peu connu au Japon», confie Naoyuki Miyayama.
Après son arrivée en Suisse, un ami qui travaille dans une banque l’emmène à l’Office du tourisme de Montreux. Par un heureux hasard, un des employés connaît les Dubois et il fait les présentations. «C’est chez eux que j’ai goûté mon premier Chasselas. Le coup de foudre a été immédiat. J’ai été surpris par son goût si raffiné. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un tel vin existe», raconte-t-il sourire aux lèvres.
Harmonie parfaite
Après sa première découverte, Naoyuki Miyayama revient au Japon avec l’idée d’y promouvoir le Chasselas. Il est persuadé que l’harmonie est parfaite entre ce cépage et la nourriture japonaise. «Dans la plupart des écoles d’œnologie, on parle des vins français, mais moi je me suis dit dès le début que les Japonais qui ont un goût élégant, raffiné, comprendront que le Chasselas est d’une finesse extraordinaire. Sa minéralité se marie bien avec le bouillon japonais à base d’algues et de poisson. Il se combine parfaitement avec le wasabi et la sauce soja. Son goût très frais s’allie très bien le caractère naturel et la fraîcheur de la cuisine japonaise. En fait, le Chasselas se marie bien mieux avec la gastronomie japonaise que les vins français, italiens et espagnols. Certains chefs japonais de sushi ont abandonné tous les vins français qu’ils proposaient dans leur menu pour ne proposer que du Chasselas», témoigne-t-il. Aujourd’hui, une quarantaine d’établissements au Japon en proposent dans leur menu, dont certains ont des étoiles Michelin.
Le Lavaux: un paradis
En Suisse, l’endroit qui plaît le plus à cet hédoniste est sans surprise le Lavaux. «C’est comme un paradis. On ressent énormément de bonheur en s’y promenant. Ce sont les plus beaux vignobles que j’ai pu visiter. Chaque année en juillet, j’y retourne. J’en profite pour prendre beaucoup de photos et déguster de nombreux vins. J’ai une relation très étroite à la Suisse, presque familiale. J’ai des relations très sympathiques, très humaines avec les personnes qui travaillent dans les vignes et plus largement avec les habitants du Lavaux. Les vignobles sont comparables aux champs de thé au Japon qui sont taillés avec minutie. On y ressent aussi le sens de la perfection, du détail, le sérieux dans le travail», s’émerveille-t-il.
Au Japon, Club Concierge compte environ 130 membres et emploie 12 collaborateurs. «Nous organisons environ 20 événements par an, comme des salons musicaux et des promenades en bateau, à Tokyo et Kyoto. Chaque fois, je propose du Chasselas à mes membres, leur accueil est très positif», relève-t-il. La stratégie de l’entrepreneur japonais est de viser une clientèle aisée. Les membres de Club Concierge disposent en moyenne d’actifs à hauteur de 300 millions de yens (2,6 millions de francs). «Je choisis donc mes clients et mène une stratégie de marque. Le Chasselas, c’est ma passion, ma raison de vivre avec la photographie», martèle celui qui édite de A à Z un magazine en japonais bien documenté sur le Chasselas.
Curieux et perfectionniste
Quant aux vignerons vaudois, ils décrivent Naoyuki Miyayama comme une personnalité très attachante. Christian Dubois se rappelle de sa première rencontre. «Il voulait absolument voir la cave dans laquelle mon grand-père avait débuté la production de Chasselas. Il aime que je lui raconte des histoires sur notre famille. Il est très sincère. La première fois que je lui ai fait goûter des vins, j’ai tout de suite remarqué son amour pour le Chasselas. C’est un perfectionniste et il fait son travail avec un grand cœur», témoigne-t-il. De son côté, le vigneron Patrick Fonjallaz ne tarit pas d’éloges. «Son enthousiasme nous touche énormément. Naoyuki Miyayama est passionné et curieux. Chaque dégustation de vin avec lui prend au minimum dix minutes, car il veut tout savoir. La nature des sols, les techniques utilisées, les processus de production que j’utilise. Il présente une grande confiance dans nos produits», confie-t-il.
Une bouteille de 1956
Selon Naoyuki Miyayama, son meilleur souvenir en Suisse est lié à sa visite de la cave de Christian Dubois l’an dernier. Il lui a fait déguster une bouteille de 1956, car il n’en avait plus de 1957, année de naissance de l’homme d’affaires japonais. «Lorsque j’ai commencé à déguster ce vin, j’étais au bord des larmes», affirme-t-il. Sur 350 caves dans la région, Aoyuki Miyayama dit en avoir visité une trentaine et a sélectionné une dizaine de vins. «Si j’ai un coup de foudre pour un autre Chasselas, je l’inclurai dans ma liste pour en faire la promotion au Japon», affirme-t-il. Une mission autant qu’une passion pour le journaliste reconverti en ambassadeur japonais des vins vaudois.
Profil
1957 Naissance à Fukuoka.
1995 Fonde une entreprise dans les technologies de l’information.
2000 Suis des cours d’œnologie durant deux ans et demi à Tokyo.
2003 Fonde le Club Concierge pour vendre des vins sur Internet.
2012 Découvre le chasselas lors d’un voyage en Suisse.
2016 Décoré par l’Office des vins vaudois.
Article de Daniel Eskenazi paru le dimanche 1er mai 2016 dans Le Temps
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