Le vigneron de Lavaux qui s\u2019aventurerait dans les ruelles \u00e9troites de Chasselas, lov\u00e9 au fond de la vall\u00e9e de l\u2019Arlois, aux confins du Beaujolais et \u00e0 quelques kilom\u00e8tres de M\u00e2con, pourrait bien endurer un redoutable cr\u00e8ve-c\u0153ur. Apr\u00e8s s\u2019\u00eatre \u00e9merveill\u00e9 des maisons en pierres s\u00e8ches, du ch\u00e2teau admirablement restaur\u00e9, dont les fondations remontent au XIVe si\u00e8cle, des vignes prosp\u00e8res sur les collines alentour, il n\u2019aurait pas manqu\u00e9 de s\u2019enqu\u00e9rir de ce qui, pour lui, \u00e9voque plus encore que son gagne-pain, un nectar qui fait sa fiert\u00e9. \u00abCe n\u2019est pas un vin auquel notre village a donn\u00e9 son nom, lui aurait-on r\u00e9pondu, mais \u00e0 un raisin de table. Si on le vinifie, il donne une petite chose l\u00e9g\u00e8re, pas d\u00e9sagr\u00e9able, mais sans beaucoup de corps.\u00bb Une sacr\u00e9e douche froide, en somme.
\nLe directeur d\u2019\u00e9cole maternelle Christian Petit, maire de Chasselas (180 habitants) depuis l\u2019an dernier, n\u2019a d\u2019ailleurs pas le souvenir d\u2019en avoir go\u00fbt\u00e9: \u00abJe connais la Suisse parce que notre voisin, le village de Leynes, est jumel\u00e9 \u00e0 La Br\u00e9vine, o\u00f9 je suis all\u00e9 quelque fois, pr\u00e9cise-t-il. Et je suis pratiquement certain que ce n\u2019est pas l\u00e0-bas qu\u2019on vous sert des vins vaudois. Cela dit, les vignerons du coin s\u2019amusent \u00e0 raconter que le c\u00e9page est n\u00e9 ici, mais, en r\u00e9alit\u00e9, personne n\u2019y croit.\u00bb
\n\u00abEvidemment que non! Mais c\u2019est bien le village qui a donn\u00e9 son nom au raisin, lance J\u00e9r\u00f4me Jullin, qui vient de reprendre des mains de son p\u00e8re le Domaine des Pierres Rouges, l\u2019une des cinq exploitations viticoles de la commune, qui en a connu plus de vingt. Comment voulez-vous qu\u2019une bourgade vigneronne qui porte le nom de Chasselas et qui en a cultiv\u00e9 dans un pass\u00e9 lointain ne soit pas \u00e0 l\u2019origine de la d\u00e9nomination du c\u00e9page? Peu importe o\u00f9 il est n\u00e9: il s\u2019appelle comme nous!\u00bb<\/p>\n
Louis XIV sous le charme
\n<\/b>Dans les caves, derri\u00e8re un verre de Saint-V\u00e9ran ti\u00e9di par la canicule, les vignerons acquiescent sans en faire un fromage. A leurs yeux, le chasselas de nos contr\u00e9es, qui a disparu de leurs coteaux, est bien meilleur dans une assiette de dessert que dans un verre, et ils ne l\u2019\u00e9changeraient pour rien au monde contre un cep de gamay ou de chardonnay. Et \u00e0 cet \u00e9gard, l\u2019histoire pr\u00e9tend que le roi Louis XIV \u00e9tait du m\u00eame avis. Il se raconte en effet qu\u2019un vigneron m\u00e2connais du nom de Claude Brosse entreprit en char \u00e0 b\u0153ufs, en 1695, le voyage de Versailles afin de tenter de vendre son vin \u00e0 la Cour du roi. Remarqu\u00e9 par le monarque en raison de sa haute taille, une curiosit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9poque, il parvient \u00e0 l\u2019int\u00e9resser \u00e0 ses produits, et ceux-ci trouv\u00e8rent \u00e0 Paris un juteux d\u00e9bouch\u00e9.
\nEn signe de reconnaissance, Claude Brosse apporta \u00e0 Louis XIV des sarments d\u2019un raisin de table charnu que le monarque trouva exquis et qui donn\u00e8rent naissance, dit-on, \u00e0 la c\u00e9l\u00e8bre treille royale de Fontainebleau. En l\u2019esp\u00e8ce, il s\u2019agissait de chasselas en provenance du village de Chasselas, dont la culture pour la vinification avait \u00e9t\u00e9 interdite en France plusieurs ann\u00e9es auparavant et dont le nom, en tant que raisin, figurait dans le dictionnaire de l\u2019Acad\u00e9mie depuis 1694.<\/p>\n
M\u00e9moire vivante Article de Federico Camponovo paru dans le 24 Heures du 23 juillet 2015.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Un hameau bourguignon alimente une \u00e9tonnante controverse. Son nom est-il \u00e0 l\u2019origine de celui que porte le vin identitaire du canton de Vaud?<\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":241,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"ngg_post_thumbnail":0},"categories":[22],"tags":[151,16,45],"yoast_head":"\n
\n<\/b>\u00abLe c\u00e9page de chasselas, qui est parmi les plus anciens plants de vigne cultiv\u00e9s \u00e0 ce jour, a fait l\u2019objet d\u2019une multitude d\u2019\u00e9tudes quant \u00e0 son origine, donnant lieu \u00e0 autant de controverses qu\u2019on lui pr\u00eatait de berceaux possibles: Constantinople, Egypte, Syrie, Liban, Suisse, Cahors, Chasselas, et d\u2019autres encore, \u00e9crit Paule Vermylen-Milamant dans son petit ouvrage intitul\u00e9 De Chasselas \u00e0 la table du Roy. Selon que l\u2019auteur se situe dans l\u2019une ou l\u2019autre de ces r\u00e9gions, il en d\u00e9fend l\u2019hypoth\u00e8se avec conviction.\u00bb Celle qui est devenue, au gr\u00e9 de ses recherches, la m\u00e9moire vivante du village, vit dans la maison h\u00e9rit\u00e9e de ses grands-parents o\u00f9 elle coule, \u00e0 75 ans, une retraite heureuse et active aux c\u00f4t\u00e9s de son mari, ancien militaire belge.
\n\u00abLa comparaison du profil ADN du chasselas avec des c\u00e9pages du monde entier a d\u00e9sormais permis d\u2019\u00e9tablir qu\u2019il n\u2019a rien d\u2019oriental. Il provient de l\u2019arc alpin, au carrefour de la Suisse, de la France et de l\u2019Italie, souligne-t-elle, plong\u00e9e dans un imposant classeur. Ce qui vous permet, en Suisse, d\u2019estimer que son berceau est l\u00e9manique. Peut-\u00eatre bien, mais cela n\u2019explique pas l\u2019origine de son nom. Pour ma part, je pense que c\u2019est notre village, dont les premiers vestiges remontent au Xe si\u00e8cle, qui le lui a donn\u00e9. Comment? Par honn\u00eatet\u00e9, je dois avouer que le myst\u00e8re reste entier. Mais franchement, comment voulez-vous que le terme latin de casa, c\u2019est-\u00e0-dire petite maison, puisse donner naissance, s\u00e9par\u00e9ment, au nom d\u2019un village vigneron et d\u2019un c\u00e9page distants d\u2019\u00e0 peine 20 kilom\u00e8tres, et cela par le simple fait du hasard?\u00bb
\nLe baron Jean-Marc Veyron la Croix, propri\u00e9taire avec son ami Jacky Martinon du ch\u00e2teau de Chasselas et de ses 12 hectares de vignes depuis seize ans, partage l\u2019avis de Paule Vermylen-Milamant. Lui qui a \u00e9t\u00e9 maire de Chasselas de 2008 \u00e0 2014, qui produit chaque ann\u00e9e 30 000 bouteilles de Saint-V\u00e9ran, de Bourgogne blanc, de M\u00e2con et de Cr\u00e9mant de Bourgogne qui raflent prix sur prix, a ainsi d\u00e9cid\u00e9 de passer de la parole aux actes: \u00abIl n\u2019est pas possible que le village continue \u00e0 ne pas vinifier du chasselas. J\u2019ai donc d\u00e9cid\u00e9 de braver les obstacles administratifs, et Dieu sait s\u2019ils sont nombreux en France, afin d\u2019en planter une parcelle sur mes terres cet automne ou au printemps prochain, dit-il avec un sourire en coin. On me dit que le c\u00e9page pr\u00e9f\u00e8re la douceur des rives du L\u00e9man aux chaleurs que nous connaissons en Bourgogne: nous verrons bien et, bient\u00f4t, nous pourrons comparer.\u00bb Le rendez-vous est pris. (24 heures)<\/span><\/p>\n